(Zurich) Quel est le point commun entre Heidi et Super Mario ? À première vue aucun, sauf pour les mordus de mangas et de jeux vidéo qui reconnaissent la patte de Yoichi Kotabe, une des vedettes du film d’animation japonais.

Heidi, l’histoire d’une petite fille des Alpes gambadant dans la montagne suivie des ses chèvres, a servi de rampe de lancement à Yoichi Kotabe, lui ouvrant par la suite les portes de Nintendo, le pionnier des jeux vidéo, venu le recruter pour créer et redessiner une foule de personnages de Mario.

Heidi a aussi marqué un tournant dans la carrière de son réalisateur, Isao Takahata, connu pour le Tombeau des lucioles, et de son concepteur scénique Hayao Miyazaki, créateur de Mon voisin Totoro, qui, forts du succès de cette série des années 70 en 52 épisodes, s’associèrent une dizaine d’années plus tard pour créer le célèbre studio Ghibli.

Le Musée national suisse, à Zurich, a mis la fillette des alpages à l’honneur le temps d’une exposition présentée jusqu’au 13 octobre. Et pour l’occasion, M. Kotabe est venu en Suisse raconter la genèse de ce personnage dont il avait dessiné les premiers croquis.

« Je voulais une petite fille “kawaii”, mignonne », a expliqué M. Kotabe à l’AFP : grands yeux, large sourire, mais aussi « deux petites nattes »… que les amateurs de la série n’ont pourtant jamais vues.

Car lorsque Yoichi Kotabe a présenté ses premières esquisses, un spécialiste du roman Heidi lui a fait remarquer que cette petite fille « n’avait que 5 ans », « qu’elle vivait dans la montagne avec son grand-père pas très commode » et que celui-ci « n’aurait sûrement pas le temps de lui faire des tresses le matin ».

Un coup de gomme plus tard, Heidi se retrouva avec un carré court, une allure déclinée tout au long de cette série dont le premier épisode fut diffusé en 1974 au Japon sous le titre Arupusu no shôjo Haiji (Heidi, fille des Alpes).

Heidi plutôt que Fifi Brindacier

Le dessin animé Heidi a pourtant bien failli ne jamais voir le jour. Takahata voulait initialement adapter Fifi Brindacier, le personnage de la romancière suédoise Astrid Lindgren, qui refusa l’offre de ces Japonais qu’elle soupçonnait de n’être intéressés « que par l’argent », raconte M. Kotabe.

Le choix se porta sur un autre classique de la littérature enfantine, Heidi, un roman de la romancière suisse Johanna Spyri publié en 1880.

L’équipe, carnets à dessin sous le bras, mit dès lors le cap sur la Suisse pour y faire des repérages de chalets et pâturages dans le petit village de Maienfeld, dans l’est du pays.

« Nous n’avions que peu de temps, et étions très conscients que nous devions amasser le plus de matière possible », se souvient l’animateur.

Pendant un mois, l’équipe a photographié tous azimuts et multiplié les croquis.

Les dessins animés dirigés par Takahata se sont fait connaître par leur souci du réalisme, l’attention portée aux détails de la vie quotidienne et à la nature.

« Beaucoup de gens voient uniquement (dans Heidi) une forme de divertissement pour enfants », a commenté Hans Thomsen, professeur d’histoire de l’art spécialisé sur l’Asie orientale à l’Université de Zurich, et commissaire de l’exposition, qui, lui, considère ce dessin animé comme « une œuvre d’art » à part entière, tant pour « sa créativité » que « son impact visuel ».

« Paradis alpin »

Pour l’exposition, il a rassemblé de nombreuses planches d’animation, aquarelles ou croquis de petites chèvres observées par les animateurs japonais dans les alpages. Mais aussi de petits objets qui témoignent du succès de la série au Japon, dont des boîtes à bento, des kits d’origami et du fromage à fondue à l’effigie de la fillette.

« L’image de Heidi et de ses aventures dans les montagnes a fortement marqué les Japonais, petits et grands », a expliqué à l’AFP Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme, l’organe de promotion du tourisme dans le pays.

Les réalisateurs eux-mêmes « n’avaient jamais pensé » que la série aurait une telle influence, souligne-t-elle.

Le dessin animé, exporté dans le monde entier, a « contribué à diffuser cette image de la Suisse comme paradis de la nature alpine », poussant nombre de vacanciers à venir découvrir la vallée de Heidi, a-t-elle souligné.

Dans son village de Maienfeld, tout rappelle désormais l’héroïne de la série à succès : un musée dédié, des attractions touristiques, un parcours de randonnée, des boutiques de souvenirs.

« À Maienfeld, à l’époque du repérage effectué pour préparer le dessin animé », j’avais été surpris de voir qu’il n’y avait presque aucune trace visible de Heidi « alors que le roman avait été publié près d’un siècle auparavant, relève M. Kotabe.

Mais aujourd’hui dans ce village, après des décennies de diffusion télévisée de la série, « tout est lié à Heidi », s’amuse le Japonais.