À l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Jean McEwen (1923-1999), le Musée des beaux-arts de Montréal présente une vingtaine de peintures et d’aquarelles du peintre montréalais. La Presse a parcouru ces œuvres de la collection du musée en compagnie du plus jeune fils du peintre, Jérémie McEwen.

Jérémie McEwen avait 18 ans quand son père est mort, emporté par une crise cardiaque. Aujourd’hui professeur de philosophie au collège Montmorency et chroniqueur à Radio-Canada – il signe aussi à l’occasion des billets dans La Presse —, il poursuit sa démarche visant à mieux connaître son célèbre paternel.

« Je l’ai connu alors qu’il était déjà assez vieux, puisque je suis issu d’un second mariage et que je suis le plus jeune de ses trois derniers enfants, dit-il. Mon père était un homme jovial et libéré, fier d’avoir une vie familiale. »

Jean McEwen n’avait plus rien à prouver durant les jeunes années de son fils Jérémie. Il laissait aller son inspiration avec plus de décontraction. Comme c’est le cas dans Poème barbare no 8, aux couleurs éclatantes comme les ailes d’un papillon. D’ailleurs, Poèmes barbares (1997-1998) est la série de peintures préférée de Jérémie McEwen, surtout Odeur-de-papillon, exposée l’an dernier à la Galerie Simon Blais.

PHOTO GUY L’HEUREUX, FOURNIE PAR LA GALERIE SIMON BLAIS

Odeur-de-papillon, 1998, Jean McEwen, huile sur toile

« J’adore sa dernière période, dit Jérémie McEwen. Il avait envie de s’amuser. C’était un homme qui n’aimait pas les choses compliquées. »

Quand Jérémie McEwen était très jeune, il ne comprenait rien à l’abstraction lyrique de son père.

« Plus tard, j’ai appris à apprécier son travail et à m’intéresser à la peinture, dit-il. À la maison, dans ma jeunesse, il y avait un Riopelle, un Molinari, un Charles Gagnon, un Gaucher. La mouvance historique du Québec, je l’ai d’abord comprise par en dedans avant de la comprendre objectivement du dehors quand on a abordé Refus global au cégep. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sans titre, 1951, Jean McEwen, huile sur toile. Don de Suzanne Thiboutot (2007). Plus ancien tableau de McEwen dans la collection du MBAM, on y sent l’influence de Paul-Émile Borduas. La toile vient d’être restaurée.

Jérémie McEwen se souvient de son père comme d’une personne plutôt conservatrice qui ne s’intéressait pas à la politique et qui avait sagement exercé la pharmacie jusqu’à la rencontre de sa seconde femme, Indra Kagis, au milieu des années 70.

La rupture d’un Refus global, ce n’était pas tout à fait lui. Il n’a jamais fait de coupures radicales dans sa pratique, comme Riopelle, par exemple.

Jérémie McEwen

Il se souvient de son père peignant parfois chez lui, dans sa maison avec vue sur le parc La Fontaine. « Il mettait un drap par terre, s’asseyait et regardait le tableau avec intensité. Il prenait le temps de l’analyser. Mon père était très méthodique. À plus de 70 ans, il continuait d’aller à son atelier, du lundi au vendredi, dès 9 h. Pour lui, peindre, c’était un travail. Il était passionné par ça et voulait transmettre sa passion. »

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Jardin de Grenade, 1995, Jean McEwen, huile sur toile. 
Don de Simon Blais (2007).

Mission accomplie, puisqu’on se délecte de ces peintures et de ces œuvres sur papier datant de 1951 à 1998.

Jean McEwen n’était pas seulement un coloriste charnel encadrant ses épaisseurs de pigments au moyen d’une géométrie un peu austère. Ces toiles accrochées évoquent plutôt la grande volatilité de son style qui n’est pas que cartésien. Sa gestuelle est gracieuse. Son utilisation du support est brillante et son travail de texture, à la fois maîtrisé et spontané. « Il y avait quelque chose de très calculé dans sa démarche », atteste Jérémie McEwen.

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Vue de l’exposition Peintures barbares : hommage à Jean McEwen, présentée au MBAM jusqu’au 2 février 2020

On le constate avec Élégie criblée de bleu no 5, Le drapeau écorché no 1 ou encore Meurtrière traversant le bleu, avec ses petites îles bleutées éparpillées sur une mer magmatique.

L’exposition diffuse une vidéo du début des années 50, alors que Jean McEwen s’était établi en France à la suggestion de Paul-Émile Borduas. « Papa adorait Paris », dit Jérémie McEwen. Mais ce séjour ne fut pas un succès professionnel. McEwen n’a jamais percé le marché européen, au contraire de l’Amérique où il a atteint une belle notoriété, grâce notamment aux galeristes Agnès Lefort, Walter Moos et Martha Jackson, au collectionneur Joseph Hirshhorn et au directeur du MoMA, Alfred H. Barr Jr.

« Peintures barbares : hommage à Jean McEwen met en évidence la monumentalité discrète, la continuité et la beauté poignante de l’œuvre de ce Montréalais qui a marqué l’histoire de la peinture moderne au Canada », estime Anne Grace, conservatrice de l’art moderne au MBAM, qui signe le commissariat de cette expo.

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Aquarelles de la série De ma main à la couleur réalisées en 1997 par Jean McEwen et comprenant des poèmes écrits de sa main

Le peintre a quitté la scène plutôt serein, dit son fils, après avoir obtenu le très convoité prix Borduas en 1998, comme la plupart des grands peintres de son époque. Il est parti entouré de l’amour de ses proches, dont sa femme. L’expo présente d’ailleurs la série De ma main à la couleur, des aquarelles enjolivées de poèmes d’amour dédiés à Indra Kagis Ewen.

Ces aquarelles craignant la lumière, une rotation permet d’en découvrir de nouvelles chaque mois, ce qui permettra aux fans de McEwen d’apprécier l’entièreté de cette série offerte au musée par Indra Kagis Ewen.

Notons que la scénographie de Sandra Gagné est encore une fois impeccable, la salle d’exposition devenant un lieu de repos, de recueillement et d’appréciation de cet art que McEwen nous a légué et que tant de collectionneurs ont su honorer. Dommage que cet espace ne lui soit pas consacré en permanence. Il le mérite.

Peintures barbares : hommage à Jean McEwen, au Musée des beaux-arts de Montréal (pavillon Michal et Renata Hornstein) jusqu’au 2 février 2020