(Paris) Après Caravage, Delacroix : une toile orientaliste éblouissante de vivacité colorée, étude préparatoire aux célèbres Femmes d’Alger du Louvre, est exposée à partir de ce jeudi à Paris après avoir été retrouvée il y a un an et demi et reconnue comme un authentique Delacroix.

De 46 cm sur 38, peinte dans des teintes et touches vives, elle montre une femme assise dans une pose lascive à côté d’une esclave noire qui la regarde en lui tournant le dos, dans la lumière rasante d’une fin d’après-midi.

Philippe Mendes et l’historienne d’art spécialiste de Delacroix, Virginie Cauchi-Fatiga, ont analysé et retracé l’histoire de ce tableau disparu qui est une étude pour les Femmes d’Alger dans leur appartement, exposé au Louvre.

« Tout Delacroix est là ! Les couleurs palpitent, la lumière vibre », s’enthousiasme M. Mendes, qui raconte comment il a eu « l’intime conviction » en découvrant la toile poussiéreuse que c’était un authentique Delacroix.

Une collectionneuse privée le lui avait amené pour avoir son avis. « Ma conviction a été confirmée par un an et demi de recherches historiques », dit-il à l’AFP.

« Pleins de petits indices — la tache rouge sous le blanc de la boucle d’oreille de l’esclave (une manière de rehausser le blanc) ou les traits rouges entre les doigts — sont typiques de Delacroix », note-t-il, estimant que le doute n’est pas permis.

Fasciné par l’Orient, Delacroix (1798-1863) était allé à Alger en juin 1832, après un séjour au Maroc. Peint vers 1833-1834, ce tableau figurait dans la collection du comte de Mornay, un diplomate qu’il avait accompagné en Afrique du Nord. En janvier 1850, le comte avait vendu aux enchères une partie de sa collection dont sept tableaux de Delacroix.

Trois de ces toiles sont aujourd’hui exposées dans des musées français : le tableau du Louvre, une toile au Musée Fabre de Montpellier et une autre aux Beaux‐Arts de Rouen.

Le numéro 118 de la vente Mornay que l’on identifiait jusqu’à maintenant comme le tableau de Montpellier s’est avéré être celui amené à Philippe Mendes par cette femme qui le tenait accroché dans son appartement parisien.

Au dos de cette étude figure d’ailleurs le numéro 118 inscrit au pochoir.

Lors de la vente Mornay, ce tableau était acheté par un certain « Symonet jeune » pour la somme de « 450 francs ». Il était depuis disparu.

Vivacité d’un travail préparatoire

La radiographie a montré que cette scène recouvrait une autre scène qu’avait peint Delacroix — un vieil homme assis tenant un oiseau — qu’il avait recouverte sans doute parce qu’elle ne le satisfaisait pas.

Cette huile (qui suit une première étude – celle-là à l’aquarelle et à la mine de plomb) montre plusieurs repentirs (rectifications), qui caractérisent un travail préparatoire.

Dans l’œuvre finale exposée au Louvre, plus élaborée, polissée, mais moins spontanée, les femmes représentées dans cet intérieur bourgeois (et « non pas dans un lupanar », souligne M. Mendes) ne sont plus deux, mais quatre. Les deux assises au milieu figuraient dans la toile préparatoire qui se trouve au musée Fabre.

« Dans cette scène, le temps s’est arrêté. Le tableau, avec la porte sombre béante au milieu, aguise l’imaginaire » sur l’Orient, souligne le galeriste parisien.

Le tableau devrait être présenté bientôt hors d’Europe : « Il va sûrement voyager. Des collectionneurs privés et des musées nationaux se sont positionnés. On entre dans les négociations. Au Moyen-Orient, il y a un intérêt des institutions » muséales, souligne M. Mendes.

L’État ne l’a pas classé « trésor national », ce qui permet sa sortie du territoire.

Le Louvre, premier musée national français fondé à le réclamer, avait déjà sa toile de plus grand format. Pourquoi chercherait-il à en acquérir une autre. « C’est bien que ce tableau parte dans un musée ailleurs », estime le galeriste.

Cette présentation du Delacroix jusqu’au 11 juillet à Paris succède de quelques jours à celle, à l’hôtel Drouot, d’une très belle toile, Judith et Holopherne, attribuée au Caravage. Cette toile de 1607 doit être vendue le 27 juin à Toulouse, où elle avait été retrouvée.

De Léonard à Caravage, les toiles attribuées aux maîtres anciens qui sortent de l’ombre sont aujourd’hui rares.