Après une tournée de deux ans en Europe et en Asie, Le projet Polaroid s’arrête au musée McCord de Montréal où seront exposés dès demain près de 200 clichés sortis directement du ventre de ces appareils mythiques qui ont marqué l’histoire de la photographie.

Andy Warhol, Robert Mapplethorpe, David Hockney, Guy Bourdin, Chuck Close et Philippe Halsman se sont tous amusés avec ces appareils argentiques, qui développaient les photos instantanément. Une petite révolution qui a explosé dans les années 70 et 80, à l’époque où le micro-ondes a été inventé et le Concorde, construit.

Le projet Polaroid – Art et technologie, qui a pris forme après la faillite de l’entreprise en 2009, réunit pour une rare fois plusieurs de ces clichés qui proviennent de deux collections privées (américaine et européenne), du musée MIT de Cambridge, au Massachusetts, et du musée WestLicht de Vienne.

Des portraits d’Alfred Hitchcock et de Jean Cocteau (Philippe Halsman), mais aussi de Hillary Clinton (Chuck Close) en passant par une série de photographies prises sur le plateau du film Amarcord, de Federico Fellini, sans oublier les instantanés de Robert Mapplethorpe, on retrouve ici plusieurs photos devenues célèbres (et plusieurs appareils de collection).

Art et technologie

« Qu’est-ce qui fait que ces images sont aussi distinctives ? Quel est le secret de la sauce ? demande la commissaire Deborah Douglas, du MIT Museum, avant de répondre à ses propres questions. Je crois que c’est parce qu’on se trouve justement à l’intersection de l’art et de la technologie. »

La philosophie de Polaroid demeure très proche de la photographie en cette ère numérique.

« Avec ces appareils, tout le monde avait le potentiel d’être créatif. Tout le monde pouvait être un artiste. Chacun avait la possibilité de faire et de découvrir quelque chose. »

« Toutes les déclarations d’Edwin Land [NDLR : l’inventeur du Polaroid] font allusion à cela. Il voulait démocratiser la prise de photos », explique Deborah Douglas.

C’est exactement pour cette raison que le musée McCord a créé une œuvre collective et évolutive réalisée à partir des photos Polaroid de Montréalais. Il suffit d’aller déposer sa photo ou de l’envoyer par la poste afin qu’elle soit exposée. Les visiteurs peuvent aussi emprunter un appareil au musée.

Clic ! C’est magique

Le mot « magie » revient souvent chez les commissaires de l’expo quand ils évoquent les photographies Polaroid (en couleur depuis le début des années 60).

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Barbara Hitchcock et Deborah Douglas, commissaires de l’exposition

« Quand on prenait une photo, c’était le début d’un processus créatif, nous dit Barbara Hitchcock, qui a elle-même travaillé à Cambridge avec Edwin Land. C’était un point de départ, on pouvait ensuite personnaliser la photo en peignant par-dessus, en la découpant, en la trempant dans l’eau chaude, en faisant des collages. Tout était possible ! »

Des photos qu’on s’amuse en somme à transformer. N’est-ce pas un peu ce qu’on fait aujourd’hui avec nos téléphones intelligents ?

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Plusieurs appareils photo de collection sont montrés dans le cadre de l’exposition.

« Oui, c’est sûr, nous dit Barbara Hitchcock. À la différence qu’aujourd’hui, on prend plein de photos qu’on ne revoit plus jamais ! Mais ce qui est intéressant, c’est que Steve Jobs [le regretté fondateur d’Apple] admirait Edwin Land. Je me souviens d’une rencontre de cinq heures qu’ils ont eue ensemble. Il a été beaucoup influencé par lui. »

Créer le besoin

« Land était convaincu de devoir créer un produit indispensable, ajoute la commissaire Deborah Douglas. Les gens doivent se dire : “Je ne réalisais pas que j’avais besoin de ça, mais j’en ai besoin.” » 

« C’était sa philosophie. Il disait : “Je vais faire en sorte qu’ils veuillent tous en avoir un.” On n’est pas loin de ce qu’Apple a fait ! »

Edwin Land baignait dans une époque où tout s’accélérait, nous disent encore ces deux témoins privilégiés du travail réalisé par ce scientifique américain.

« C’étaient les débuts de la culture de la gratification immédiate, du fast-food aussi, nous dit encore Deborah Douglas. Quand Land parlait d’un dispositif qui tient dans une poche et qui nous permet d’enregistrer nos souvenirs, on est exactement dans l’esprit du téléphone intelligent et de cette culture de l’instantané dans laquelle nous vivons. »

Des photographes montréalais

Le musée McCord a choisi de faire une place à des photographes montréalais qui se sont servis de ces appareils Polaroid dans leur carrière. Il s’agit de Louise Abbott, Charles Gagnon et Benoit Aquin, qui a utilisé ce procédé dans son expo baptisée Les travailleuses du sexe.

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Le photographe Benoit Aquin

« C’était un sujet tabou, et je ne voulais pas être moraliste », nous explique Benoit Aquin, qui a entamé sa carrière en faisait des portraits pour l’hebdomadaire Voir avant de se lancer dans la photo documentaire. « J’ai pris des photos et je leur ai demandé d’écrire quelque chose dessus. Ça leur permettait de s’approprier le médium. »

Qu’est-ce que le Polaroid représente pour ce photographe qui travaille encore avec la pellicule ?

« C’est un choix esthétique », nous dit Benoit Aquin, qui a notamment fait la photo du film Les dépossédés de Mathieu Roy, sur la crise alimentaire mondiale. « J’ai aussi beaucoup travaillé avec les négatifs des Polaroid, qui sont d’une qualité incroyable. Il y a une échelle de gris tellement large, c’est magnifique. J’ai des projets en numérique, mais je vais refaire du film, c’est sûr. »

Le projet Polaroid, jusqu’au 15 septembre au musée McCord