Le 26 mai prochain, les musées de Montréal ouvriront leurs portes gratuitement aux visiteurs dans le cadre de la Journée des musées montréalais. Une véritable aubaine… qui est une réalité à longueur d’année dans la capitale britannique. Notre correspondant à Londres a parlé au père de cette petite révolution.

L’immense dinosaure Camarasaurus du Musée d’histoire naturelle de Londres n’avait jamais eu autant de visiteurs en 145 millions d’années.

À la source de sa popularité : la gratuité des grands musées britanniques, pourtant parmi les plus prestigieux du monde. Vingt ans après l’abolition de tous les tarifs d’entrée dans ces établissements, le père de cette petite révolution se réjouit d’un succès sur toute la ligne et appelle d’autres gouvernements à faire de même.

« C’était une question de principe : c’est dans ces musées que notre nation expose son histoire, son savoir, la beauté qu’elle a amassée au fil des siècles. J’étais convaincu qu’il ne devait pas y avoir de barrière pour quiconque voulait en profiter et apprendre », a expliqué Lord Chris Smith, qui fut le tout premier ministre de la Culture du gouvernement de Tony Blair, en entrevue avec La Presse.

Au Musée d’histoire naturelle, un enfant dans une poussette rugit face à un tyrannosaure mécanique (un voisin du Camarasaurus). Au Victoria and Albert Museum, tout près de là, un couple demande à sa fillette de trouver un chevalier dans la frise médiévale qu’ils observent.

Difficile de déterminer exactement quels visiteurs auraient passé leur tour si ces musées n’avaient pas abandonné leur tarif d’entrée en 2001. Mais l’instauration de la gratuité a entraîné une hausse importante du nombre de visiteurs, confirme une étude récente du Centre for Public Impact, qui étudie l’effet des politiques publiques.

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70 % 

Hausse moyenne du nombre de visiteurs depuis 2001 dans les musées qui ont abandonné les tarifs d’entrée. D’autres (comme la National Gallery ou le British Museum) étaient déjà gratuits.

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Manque de diversité

La politique n’a toutefois pas connu le même succès sur tous les plans. La grande majorité des familles qui passent leur matinée du dimanche à visiter une exposition demeure blanche et aisée. « Les études ont montré que le profil des visiteurs était un peu plus diversifié qu’avant, mais pas autant qu’il le faudrait, indique Margot Gagliani, responsable des études de cas au Centre for Public Impact. C’était un bon premier pas, mais il faut faire encore davantage. »

« Ça a eu un impact sur la diversité. Il y a eu une augmentation des visiteurs ayant un revenu plus faible. Mais il existe toujours un fossé important », reconnaît Alistair Brown, analyste pour la Museums Association britannique, qui regroupe la majorité des institutions du pays. « La solution est de faire davantage de sensibilisation, de travailler davantage avec les écoles. »

Pour Lord Smith, le principal obstacle à la fréquentation des musées par les classes populaires était le tarif. « Je pense que c’était d’abord et avant tout une question d’argent », dit-il, reconnaissant dans la foulée qu’il est important « d’encourager les gens issus des classes populaires à visiter les musées, de les intéresser et de les divertir », maintenant que la barrière est levée.

Des critiques

Même si les principaux partis politiques britanniques promettent aujourd’hui de protéger cet acquis, la politique n’a pas toujours fait l’unanimité.

L’actuel directeur du Victoria and Albert Museum, spécialisé dans les arts décoratifs, avait critiqué la politique de gratuité dans une lettre ouverte en 2011 — alors qu’il était député. « Nous devons recommencer à faire payer les visiteurs des musées » nationaux, écrivait Tristram Hunt. Il estimait alors que les fonds nécessaires pour les rendre gratuits seraient mieux utilisés dans les musées locaux et régionaux du pays.

PHOTO JUSTIN TALLIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des danseurs en prestation devant le Victoria and Albert Museum

« C’est un excellent argument pour mieux financer les petits musées », réplique Chris Smith au bout du fil. Au moment de mettre en place la politique de gratuité, il avait dû faire face à un autre type de critiques. « Un ou deux politiciens conservateurs disaient que si les gens payaient pour entrer au musée, ils apprécieraient davantage l’expérience, s’est-il souvenu. Je pense qu’ils avaient fondamentalement tort. »

Pour lui, c’est même le contraire : il est plus facile d’apprécier un musée dont l’entrée est gratuite qu’un musée pour lequel il faut sortir son portefeuille. « S’il faut payer pour visiter un musée, vous sentez que vous devez tout voir. Vous allez vous épuiser », dit-il.

L’ex-politicien, qui demeure impliqué dans le domaine des arts, en plus de diriger l’un des collèges de l’Université de Cambridge, est convaincu que son legs est le moyen le plus efficace d’intéresser le public à la culture. Bien plus que les programmes compliqués de crédits d’impôt ou de bons culturels pour les jeunes, selon lui. « Faites-le, lance-t-il. C’est la bonne chose à faire, ça ne vous coûtera pas si cher et vos musées deviendront très populaires. »