La 58e Biennale de Venise débute cette semaine. Le Canada y est représenté par le collectif inuit Isuma, de Zacharias Kunuk et Norman Cohn. Isuma y lancera son nouveau film, Une journée dans la vie de Noah Piugattuk, et profitera du plus grand évènement international d’art contemporain pour affirmer la culture et les droits des Inuits.

Isuma est la plus ancienne maison de production vidéo inuite. Elle a été fondée en 1990 par le réalisateur Zacharias Kunuk, le scénariste et directeur photo Norman Cohn et les producteurs Paul Apak Angilirq (1954-1998) et Pauloosie Qulitalik (1939-2012).

« À l’époque, il n’y avait pas de films produits en inuktitut, dit Zacharias Kunuk au téléphone. Notre communauté a été la dernière au Canada à avoir la télévision. Il était important de sauver notre langue et notre culture quand la télé est arrivée, car tout le monde la regardait. Et rien n’était en inuktitut. »

Zacharias Kunuk a connu la célébrité après avoir réalisé Atanarjuat, film qui a remporté la Caméra d’or à Cannes en 2001. Mais le travail collectif d’Isuma n’est pas seulement destiné aux projections prestigieuses. Son objectif est de diffuser la culture inuite d’abord auprès des publics inuits. Une tâche pas toujours facile.

« Même si nous sommes indépendants, nous luttons quand même tout le temps pour trouver de l’argent afin de produire des projets chaque année. »

Message clair 

PHOTO FOURNIE PAR LA BIENNALE DE VENISE

Vue de Muro Ciudad Juárez (Ciudad Juárez Wall), partie de Frontera, de Teresa Margolles, présenté en 2010 au Kunsthalle Fridericianum, à Kassel, en Allemagne.

C’est la première fois que des artistes inuits exposent au sein du pavillon canadien de la Biennale de Venise, dans le parc des Giardini. Ils en profiteront pour adresser un message clair : après l’internement forcé des enfants autochtones canadiens dans des pensionnats, de 1883 à 1996, sujet traité notamment par l’artiste cri Kent Monkman, le déplacement forcé de familles inuites dans les années 60 est le sujet central du nouveau film écrit par Norman Cohn et dirigé par Zacharias Kunuk.

Une journée dans la vie de Noah Piugattuk, que La Presse a pu voir en primeur, a été tourné au nord de l’île de Baffin. Le long métrage de fiction s’inspire d’une histoire réelle, soit l’intervention, en 1961, d’un agent du gouvernement canadien venu forcer la famille d’un chasseur inuit à quitter sa terre natale pour aller habiter avec d’autres Inuits dans un endroit désigné. Une histoire qu’a vécue personnellement Zacharias Kunuk.

« Le gouvernement avait pris cette décision pour permettre aux enfants inuits d’aller à l’école et aux familles d’être proches des soins de santé et des magasins, dit Zacharias Kunuk. Il avait construit des habitations et fournissait du travail. Mais les Inuits voulaient continuer à vivre sur leur terre. » 

Le réalisateur précise que les aînés de la communauté inuite ont participé à l’élaboration du film, comme toujours avec les films d’Isuma. « Et là encore plus, car c’est une histoire qui leur est arrivée », dit-il.

Dans le film, Isuma (qui signifie « penser ou être attentif » en inuktitut) illustre la résilience des Inuits, leur attachement aux traditions et les décisions colonialistes du gouvernement canadien.

Webdiffusion 

PHOTO ISUMA, FOURNIE PAR LE MBAC

Norman Cohn, Zacharias Kunuk, Lizzie Qulitalik, Mary Qulitalik, Rachel Uyarashuk, Jonah Uyarashuk, Pauloosie Qulitalik,
lors du tournage de Nunaqpa, en 1990

L’exposition à Venise comprend une diffusion web en direct, Silakut Live from the Floe Edge, qui permettra, cette semaine, à des internautes du Nunavut, de Venise et du monde entier d’assister à des discussions dirigées par Zacharias Kunuk. Des discussions qui montrent que les Inuits doivent encore se battre pour défendre leurs droits.

En effet, ces discussions auront lieu à Pond Inlet, dans l’île de Baffin, et porteront sur l’impact environnemental de nouveaux projets miniers pour les communautés locales.

« Avec cette expérience à Venise, nous allons pouvoir découvrir les autres, mais eux aussi vont nous découvrir... Si la webdiffusion fonctionne bien ! »

Les internautes pourront assister à ces discussions de mercredi à samedi, de 9 h à midi et de 16 h à 20 h. « Et chaque mois, il y aura des jours où un des écrans du pavillon sera réservé à cette programmation », dit Josée Drouin-Brisebois, conservatrice principale de l’art contemporain au Musée des beaux-arts du Canada et une des cinq commissaires de l’exposition d’Isuma.

Par ailleurs, le pavillon canadien présentera Isuma Online, une sélection de films du collectif qui seront diffusés avec des sous-titres en anglais, italien, français, espagnol et allemand. Cette diffusion comprendra les archives de sa production vidéo réalisée à Igloolik, au Nunavut, depuis 1985.

Les autres expositions 

PHOTO ZANELE MUHOLI, FOURNIE PAR LA BIENNALE DE VENISE

Bona, Charlottesville, Virginia, 2015, Zanele Muholi, impression argentique sur gélatine, 80 cm x 50,5 cm. Courtoisie de Stevenson, Cape Town/Johannesburg et Yancey Richardson, New York.

Avec son slogan « Puissiez-vous vivre à une époque intéressante », la 58Biennale de Venise propose cette année une exposition internationale inédite avec 79 artistes et collectifs qui présenteront chacun deux corpus, l’un dans le pavillon principal des Giardini et l’autre dans les dédales de l’Arsenale.

Parmi les artistes invités, citons les Canadiens Stan Douglas et Jon Rafman, les Britanniques Ed Atkins et Christian Marclay, le Japonais Ryoji Ikeda, la Mexicaine Teresa Margolles ou encore la Sud-Africaine Zanele Muholi.

Par ailleurs, 90 nations organisent une exposition officielle dans les pavillons des Giardini ou des espaces de Venise. Le Ghana, Madagascar, la Malaisie et le Pakistan participent pour la première fois. À noter que c’est le sculpteur et poète américain Jimmie Durham qui recevra le Lion d’or honorifique cette année. La Biennale de Venise se déroule jusqu’au 24 novembre.