Qui sont les autochtones haïdas ? Présentée au musée McCord, l’exposition Sding K’awXangs – Haïdas : Histoires surnaturelles répond largement à la question. Avec une centaine d’objets de la collection du musée, quelques prêts et un travail de commissaire pointu auquel a étroitement collaboré l’artiste haïda Kwiaahwah Jones.

Avec les expositions Honte et préjugés : une histoire de résilience, de l’artiste cri Kent Monkman (présentée jusqu’au 5 mai), et c’est pas pour rien qu’on s’est rencontré, de l’artiste mohawk Hannah Claus (jusqu’au 11 août), le musée McCord offre, avec son nouveau déploiement d’art haïda, un panorama inédit sur une partie de l’univers autochtone canadien, alors que l’heure de la réconciliation a sonné.

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Kwiaahwah Jones (Kwi Jones) est la commissaire haïda invitée par le musée McCord pour cette exposition. Elle a travaillé en collaboration avec Guislaine Lemay, conservatrice Cultures autochtones au musée.

Le travail de commissaire de Sding K’awXangs – Haïdas : Histoires surnaturelles a été assuré par Guislaine Lemay, conservatrice Cultures autochtones à McCord. Elle a été épaulée par une figure importante de l’art contemporain haïda, Kwiaahwah (Kwi) Jones, artiste née dans l’archipel Haida Gwaii, situé au large de la côte nord-ouest de Colombie-Britannique.

« J’espère que cette exposition spectaculaire ouvrira votre cœur, votre âme et votre esprit pour faire une place de façon respectueuse et aimable au peuple haïda », a déclaré d’entrée de jeu Kwi Jones aux médias, mardi dernier, lors de la visite de presse.

Il est vrai que le musée McCord n’a pas lésiné sur les moyens pour orchestrer la mise en place d’une centaine d’objets rares, anciens et contemporains, pour permettre au visiteur de s’immerger dans la culture haïda d’hier et d’aujourd’hui.

La plupart des objets haïdas proviennent à l’origine de George Mercer Dawson – fils de John William Dawson, recteur de McGill de 1855 à 1893 –, géologue réputé qui a travaillé de nombreuses années dans l’Ouest canadien. George Mercer Dawson s’est intéressé aux Haïdas après avoir étudié des veines de charbon à Haida Gwaii, alors appelé « îles de la Reine-Charlotte ».

Il a élaboré un ouvrage sur leur langue et collectionné des objets haïdas. Si son père donna son nom au Collège Dawson, il est pour sa part à l’origine de celui de Dawson City, au Yukon.

L’exposition débute par une présentation de l’histoire des Haïdas, derniers autochtones canadiens à avoir été colonisés, au début du XIXe siècle. Leur histoire est semée de contes et légendes, les Haïdas se considérant comme les héritiers d’êtres surnaturels qui ont émergé de l’océan, a expliqué Kwi Jones. D’où le titre de l’expo, Sding K’awXangs (signifiant « histoires surnaturelles »), qui explore cette pratique séculaire des Haïdas de transmettre des histoires, notamment en nous racontant celle de la Mère Ourse…

Mais l’histoire orale est un sérieux défi pour ces autochtones alors que moins de 25 personnes – surtout des aînées – parlent couramment l’un des deux dialectes haïdas dans l’archipel.

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Haida Raven, 1972, Bill Reid, encre de couleur sur papier. Collection musée McCord.

De splendides photographies projetées sur plusieurs écrans donnent une idée de la richesse biologique et historique de Haid Gwaii, dont les arbres et les ruisseaux sont vénérés par les Haïdas. Plus loin, un écran permet de comprendre la signification des formes artistiques du graphisme haïda, une grammaire visuelle très reconnaissable.

Les vêtements de la designer haïda contemporaine Dorothy Grant, mixant lignes modernes et motifs traditionnels haïdas, tranchent avec des textiles plus traditionnels, comme ce châle de mariage en laine de mérinos créé en 2008 par Evelyn Vanderhoop, membre du clan Gaw Gitanee, à Masset.

Fascinant également le travail de tissage de fils issus de racines d’épinette par des artistes comme Ariane Medley ou le couple formé d’Isabelle et Charles Edenshaw.

Le potlatch

Un espace a été réservé à la tradition du potlatch, ce grand festin cérémoniel qui était organisé pour marquer un événement important tels un décès, une naissance ou l’érection d’un totem. Cette célébration fut longtemps interdite par le gouvernement canadien quand Ottawa visait à éradiquer les traditions autochtones. Un bon nombre d’objets exposés ont d’ailleurs été considérés comme illégaux par le gouvernement fédéral entre 1885 et 1951.

« Il était illégal pour notre peuple de chanter, de danser, d’ériger des mâts, de nommer des chefs, de tatouer, d’offrir des cadeaux et de prononcer des discours », déclare Kwi Jones.

« Une grande partie de nos objets d’art cérémoniels ont alors été brûlés, volés ou achetés sous la contrainte par des collectionneurs et bon nombre d’entre eux ont été vendus au bénéfice de l’Église. » — Kwi Jones, commissaire haïda invitée par le musée McCord

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Hameçon à flétan, 1800-1850, artiste inconnu, bois d’aulne, racine d’épinette, fer, tendon. Collection musée McCord.

Une vitrine explore la signification de la nourriture chez les Haïdas, tant une médecine qu’une cérémonie. Avec les célèbres cuillères haïdas, mais aussi des ustensiles liés à l’alimentation tels qu’un mortier en basalte, un hameçon pour la pêche à la morue ou un autre pour le flétan.

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Masque de macareux (Skidegate Children’s Youth Group Cedar Puffin Mask), 2015, Cori Savard, cèdre, écorce de cèdre, crins de cheval, peinture acrylique. Prêt de Jenny Cross.

Un bel espace à la lumière tamisée évoquant un feu de joie rappelle l’importance des danses dans la culture haïda, des événements au cours desquels les danseurs portaient des masques et des objets cérémoniels. Ces œuvres illustrent combien l’art fait réellement partie de la vie quotidienne des Haïdas qui, pourtant, n’ont même pas un mot pour qualifier un « artiste ».

« Les Haïdas ont beau faire face à des défis importants comme les pratiques coloniales que sont la déforestation ou la surpêche, nous pensons que ce genre d’exposition montre l’ampleur de la culture haïda et que cela finira par avoir un impact sur la colonisation », nous a dit Kwi Jones, émue que Montréal ait pu honorer ainsi le peuple haïda.

Au musée McCord jusqu’au 27 octobre

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