Après le succès populaire et critique de son récent film Impetus, Jennifer Alleyn rebondit à la Maison de la culture de Longueuil avec Suspension, une exposition d’œuvres présentées en Suisse en 2016. Une réflexion autour de la perte, thème déjà abordé dans son film consacré à Edmund Alleyn (L’atelier de mon père) et dans Impetus.

« Ce projet est né en 2015. J’étais en réflexion sur le cinéma. Je voulais me rapprocher d’un geste artistique plus court entre l’idée et sa réalisation », dit Jennifer Alleyn.

La réalisatrice avait déjà tourné le démo d’Impetus, mais attendait des réponses pour aller de l’avant. Invitée à faire partie d’une expo collective en Suisse l’année suivante, elle a décidé d’embarquer dans un corpus qui serait, lui aussi, relié au chagrin d’amour qu’elle venait de subir.

Durant cette période douloureuse, elle extériorisait sa peine en écrivant des mots sur des morceaux de papier qui lui tombaient sous la main. Napperons de restaurant, factures, partition de musique, article de journal, couverture de magazine, etc.

« Je n’arrivais pas à jeter ces notes qui avaient encore une charge pour moi, dit-elle. Je les avais mises dans une boîte à chaussures. Deux ans après ma rupture, j’ai retrouvé la boîte. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Suspension, de Jennifer Alleyn, est présentée à la Maison de la culture de Longueuil.

Jennifer Alleyn avait renversé la boîte sur son lit. Les morceaux de papier s’étaient répandus, formant une sorte de couverture. Elle a alors eu l’idée de créer une courtepointe en les cousant ensemble.

« Je me suis cloîtrée de janvier à avril 2016 avec Martin Dufrasne, un artiste mais aussi une petite main qui m’a aidée à créer cette courtepointe par portions et dans un silence monacal et serein. Cela revenait à me rapiécer, à me recoudre, à me raccommoder après avoir été en mille morceaux. »

Mais coudre du papier s’est avéré délicat, car il se froissait facilement. Les morceaux de papier ont donc été préperforés pour que le fil puisse passer à travers les trous. Créée pendant huit mois, la courtepointe intitulée La mue est à la fois un tableau horizontal, un film (dans le sens d’un montage de mots), un casse-tête, une narration et une installation mobile. Car Jennifer Alleyn a fait en sorte que La mue puisse bouger, à l’image d’une peau placée sur un lit d’eau.

La mue est une mise à nu de l’artiste, le récit d’une lourde page de sa vie avant qu’elle coupe les ponts avec l’être qu’elle avait aimé. On y lit des mots qui lui ont permis d’évacuer la pression. De la poésie spontanée. Des adresses à l’autre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Au premier plan, l’œuvre Cent réponse, 2019, Jennifer Alleyn, installation, 137,16 cm x 152,4 cm

Quand elle a préparé cette exposition à Longueuil, Jennifer Alleyn a dû replonger dans cette phase de sa vie. « Je me suis rendu compte que ç’avait été intense. Un traumatisme, mais aussi une expérience transformatrice, une expérience riche et profonde qui m’a fait avancer comme être humain. »

Plus loin, dans la salle, un tas de feuilles de papier froissées repose sur le sol. Cent réponse (sans s, car il n’y en a jamais eu) est l’accumulation de cent tentatives de réponse que Jennifer Alleyn n’a jamais expédiées à son ex pour répliquer à son message : « Je m’ennuie de toi. » Elle ne voulait pas rouvrir la plaie…

Le corpus s’accompagne aussi d’une vidéo de six minutes, Respondere (« répondre », en latin), un jeu sur l’écriture, sur la tentative d’écrire quelque chose à quelqu’un. Une vidéo intéressante où l’on suit les mots de Jennifer Alleyn qui s’inscrivent et s’effacent sans laisser de traces dans la lettre virtuelle. Avec le curseur qui semble clignoter au même rythme que la pensée de l’artiste en quête du mot juste.

Jennifer Alleyn a aussi inclus dans son exposition le livre Deux vies parallèles, d’Amyot, qu’elle avait repéré chez un brocanteur. Son sujet n’avait pas d’importance pour elle, mais son titre l’avait interpellée. Sa rupture aboutissait, au fond, au retour de deux vies parallèles.

Cette exposition aura été bienvenue pour Jennifer Alleyn. Si elle a dû revisiter une douleur vive, le corpus lui a permis de boucler la boucle de son immense chagrin, digéré non sans difficulté, mais évacué émotionnellement. « Ça fait maintenant partie d’une autre vie », dit-elle. 

À la Maison de la culture de Longueuil (300, rue Saint-Charles Ouest), jusqu’au 26 mai.