Originaire du Congo, Moridja Kitenge Banza présente sa première exposition à la Galerie Hugues Charbonneau, à Montréal, avec une seule et unique oeuvre. Une peinture, Christ Pantocrator No 1, riche d'évocations. La première d'une série consacrée à l'identité plurielle de l'artiste et aux effets du colonialisme.

Christ Pantocrator No 1 découle d'une reproduction d'une icône byzantine qu'une amie de la famille de Moridja Kitenge Banza lui avait offerte quand il résidait en France. L'oeuvre qu'il a peinte en 2017 évoque son histoire personnelle, notamment les différentes sources culturelles auxquelles il s'est abreuvé depuis sa naissance.

L'artiste de 38 ans voulait travailler depuis longtemps sur la religion catholique, une partie de lui-même.

Diplômé de l'École des beaux-arts de Kinshasa, il a ensuite étudié en France avant de venir au Canada en 2011. Car la France avait rejeté sa demande de citoyenneté... et parfois sa couleur de peau.

« Je suis devenu noir quand je suis arrivé en France, dit-il. Avant, on ne me le disait pas. Au début, cela a provoqué beaucoup de colère en moi. Je ne comprenais pas pourquoi on me dénigrait. J'étais fier de moi et de mes origines. Mais je ne suis pas juste africain ni juste congolais. Je suis un mélange de beaucoup de choses. »

C'est ce mélange qu'évoque son tableau. Ses racines congolaises diverses : son père du Katanga et sa mère du Bandundu. Les traditions de son pays d'origine qu'il essaie de se réapproprier. Et bien sûr la religion catholique héritée de la colonisation.

Le masque

Sur le Christ « glorieux », Moridja Kitenge Banza a plaqué un masque. « Comme ceux offerts à des musées occidentaux par des colonisateurs qui estimaient pourtant que notre culture n'était pas importante, dit-il. Parce que le colonisateur, la première chose qu'il détruit, c'est la culture. D'ailleurs, c'est bizarre qu'on ne subventionne pas plus la culture, puisqu'elle est si importante. »

Il a peint le masque en se basant sur un masque de danse du peuple tchokwé (Congo). Représentant une jeune femme, l'objet appartient au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et provient, à l'origine, d'un don des Jésuites.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Reproduction du Christ Pantocrator «Le Sauveur», une icône datant du XIIIe siècle et créée, semble-t-il, dans un monastère orthodoxe du mont Athos, en Grèce. Elle a été donnée à l'artiste par des amis de sa famille.

Ce masque permet à l'artiste de parler de traditions et de son enfance. « Quand le chef coutumier membre de ma famille venait nous voir à Kinshasa, il était honoré par des danseurs qui portaient des masques. Mais on nous transmettait surtout le christianisme que les Jésuites avaient inculqué à ma famille. »

Moridja Kitenge Banza n'a ainsi appris que sur le tard que son arrière-grand-mère était guérisseuse. Ce genre de traditions était mal vu, à cause de la religion catholique. « La colonisation, c'était de dire aux gens ce qu'ils devaient faire, dit-il. Le reste, c'était sauvage. Pourtant, le colonisateur disait que les objets d'art africains qui allaient dans les musées étaient magnifiques ! »

L'artiste n'a donc pas fait porter le masque par le Christ. Il l'a plutôt plaqué sur sa tête. « Pour montrer comment les choses ont été plaquées sur nous à l'époque de la colonisation. »

Les christogrammes

Pour son tableau, Moridja Kitenge Banza a conservé les mêmes codes que l'icône.

Les deux christogrammes représentent l'acronyme ICXC, que l'on retrouve souvent divisé en deux sur les icônes orthodoxes. ICXC vient de la première et de la dernière lettre des mots Jésus et Christ, dans l'alphabet grec.

L'auréole

L'artiste a peint sur du bois, comme pour les icônes. L'auréole du Christ est réalisée avec de la feuille d'or. « L'or renvoie notamment à l'intérêt de l'Afrique pour les colonisateurs », dit-il.

La Bible

Mais greffer un masque africain sur le Christ était osé. Plusieurs proches le lui ont dit. Il répond que s'il a la foi catholique, il a tout de même envie de « questionner l'Église catholique ».

Dans l'icône, le Christ tient un livre saint dans sa main gauche. L'artiste l'a reproduit avec des couleurs si vives que l'on dirait un objet électronique. « Je voulais que les encres soient percutantes », dit-il.

Première d'une série

Cette petite toile de 40 cm sur 30 cm porte le numéro 1, car Moridja Kitenge Banza veut commencer une série avec des icônes. « Je veux faire une chapelle avec 50 icônes ayant chaque fois un masque africain provenant de musées ou de galeries, dit-il. Dans le but de montrer qui je suis réellement, mon identité sur un plan spirituel et traditionnel. Une chapelle qui donnera une gloire différente à ces masques africains. »

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAM

Masque de danse «mwana pwo», ethnie tchokwé (Kasaï méridional, Congo), XIXe-XXe, bois, fibres végétales, pigments, 35 x 18,3 x 18 cm. Collection MBAM, collection Ernest Gagnon, don de la Province du Canada français de la Compagnie de Jésus. Le masque est présenté dans l'exposition Connexions jusqu'au 9 juin.

Car Moridja Kitenge Banza - dont trois oeuvres viennent de servir d'illustrations au mensuel français Le Monde diplomatique - s'étonne du regard qui règne sur l'art africain. Il regrette qu'encore aujourd'hui, ce soient surtout des Occidentaux qui analysent les objets d'art africains. Les choses pourraient-elles changer ? Il n'en est pas certain.

« La plupart des musées n'acquièrent pas de masques fabriqués aujourd'hui en Afrique, dit-il. Ils considèrent que les Africains qui ont subi la colonisation ne sont plus authentiques. Mais être un authentique artiste africain, est-ce d'avoir existé avant la conférence de Berlin de 1885 sur le partage de l'Afrique ? Ou puis-je être authentique avec tout le bagage de la colonisation ? »

Moridja Kitenge Banza : 1, à la Galerie Hugues Charbonneau, jusqu'au 13 avril

Consultez le site de la galerie.

PHOTO FOURNIE PAR LA GALERIE HUGUES CHARBONNEAU

Une page du numéro de mars 2019 du mensuel français Le Monde diplomatique, consacrée à l'actualité politique du Congo, était illustrée par trois photos d'oeuvres de Moridja Kitenge Banza.