Charles Forget et Stefan Georgesco ont déposé le 25 mars dernier une poursuite devant la Cour supérieure du Québec contre Monique Jean, liquidatrice de la succession de Réjean Ducharme, qui refuse selon eux de leur remettre les oeuvres que l'artiste avait décidé de leur léguer après sa mort, le 21 août 2017.

Réjean Ducharme a légué ses droits d'auteur et de parolier à la Fondation du TNM, mais a désigné ses deux amis Charles Forget et Stefan Georgesco comme héritiers de ses oeuvres signées Roch Plante, pseudonyme utilisé par l'artiste dans le cadre de sa série «Trophoux», oeuvres d'art faites de l'assemblage d'objets trouvés.

«Je donne et lègue, à deux amis, Charles Forget et Stefan Georgesco, mes tableaux signés Roch Plante, comprenant que mes amis s'entendront à l'amiable et sereinement sur le partage à en effectuer entre eux», précise dans son testament Réjean Ducharme, ajoutant que ses brouillons, dessins, journaux intimes et lettres seront quant à eux versés aux Archives nationales du Canada. 

«Monique Jean refuse de remettre aux demandeurs l'ensemble des oeuvres du style distinct qui correspondent à la série Trophoux», indique dans sa requête Me Éric Pigeon, l'avocat des deux demandeurs, déplorant que la liquidatrice de la succession de Réjean Ducharme n'ait à ce jour encore jamais remis l'inventaire de succession à ses clients, mais une simple liste des «Trophoux» qu'elle aurait en sa possession. Seuls trois des sept oeuvres listées seraient signées Roch Plante et devraient ainsi revenir aux amis de M. Ducharme, selon la liquidatrice.

Selon la poursuite, les deux légataires ont eu l'idée du livre Trophoux - Roch Plante et l'ont conceptualisé, avec l'approbation de Réjean Ducharme lui-même. Ils détiennent d'ailleurs une collection des oeuvres de l'artiste et se sont donné pour mission de continuer à diffuser son art.

«Mes clients apprécient l'oeuvre de Réjean Ducharme. Ils ont leur propre collection, mais n'ont jusqu'ici encore jamais reçu aucune oeuvre [de la succession]», indique Me Éric Pigeon, l'avocat des deux demandeurs.

«M. Ducharme voulait qu'ils puissent perpétuer sa mémoire et son art. Il a légué à mes clients ses oeuvres de style Trophoux pour [ajouter] à leur collection», ajoute Me Pigeon, précisant que l'interprétation restrictive de la signature faite par Monique Jean était au coeur du litige.

Une phrase, deux visions

Amie de longue date et voisine de Réjean Ducharme et de sa femme, Monique Jean a été désignée par l'artiste comme exécutrice testamentaire. «Tout ceci tourne autour d'une phrase du testament de Réjean Ducharme. Ma cliente, Mme Jean, applique le testament à la lettre alors que les demandeurs veulent le faire interpréter», explique pour sa part MSophie Préfontaine, avocate de Monique Jean, qui avance que les Trophoux visés par le testament de l'artiste sont uniquement ceux signés «Roch Plante».

«En aucun cas il ne s'agit de l'ensemble des Trophoux. Les demandeurs veulent donner un sens différent au testament. Les tableaux non signés ne sont pas achevés», ajoute MPréfontaine. 

«Rendre tout ceci public est bien regrettable, car M. Ducharme a toujours gardé sa vie confidentielle. Il n'aurait sûrement pas souhaité que ce genre de processus soit intenté par des amis.»

De son côté, MÉric Pigeon précise dans le document soumis à la cour que Monique Jean aurait vendu le contenu de l'atelier et du bureau de Réjean Ducharme au Musée de la civilisation, à Québec, mais que cette dernière n'aurait pas précisé quels objets s'y trouvaient. Jointe par La Presse, la responsable des communications du Musée a affirmé qu'il s'agissait en fait d'un processus de donation en cours et qu'aucun Trophoux n'en faisait partie.

«Les oeuvres sont en sécurité, il n'y a pas d'urgence. Éventuellement, à l'issue de tout ça, l'idée est d'en faire bénéficier le public. Rien ne sera vendu aux enchères! Monique Jean travaille main dans la main avec le TNM et d'autres institutions pour des projets, dont des expositions», conclut Me Préfontaine.