Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) accueille dès samedi, et pour la première fois, six invités de marque qui ont vécu en Égypte ancienne entre l’an 900 avant J.-C. et l’an 180 de notre ère. À travers les bandelettes qui recouvrent leurs corps, on a surtout cherché à savoir qui étaient ces hommes et ces femmes momifiés.

Art et science

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C’est en voyant l’exposition des momies du British Museum à Londres en 2014 que la conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal, Nathalie Bondil, a eu envie de les accueillir à Montréal.

C’est en voyant l’exposition des momies du British Museum à Londres en 2014 (Ancient Lives, New Discoveries) que la conservatrice en chef du MBAM, Nathalie Bondil, a eu envie de les accueillir à Montréal. « J’étais fascinée par le mélange d’art et de science de cette expo », a-t-elle confié hier, en précisant qu’il s’agissait vraiment d’une « rencontre » avec les personnes derrière les masques et les bandelettes. C’est donc six momies (et non huit, comme à l’expo de Londres) qui font une tournée mondiale. Des individus âgés de 2000 à 3000 ans, avec leur cercueil et environ 240 artéfacts trouvés dans des tombeaux égyptiens. Le tout faisant partie de la grande collection du British Museum, qui compte 80 momies dans ses murs.

Six momies

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Le cercueil intérieur de Nestaoudjat, une maîtresse de maison qui a vécu vers 700-680 avant J.-C.

Rencontrez Nestaoudjat la maîtresse de maison, Tamout la chanteuse, Irthorrou le grand prêtre, une prêtresse anonyme, un enfant de Hawara et un jeune homme de Thèbes. Tous issus de familles riches ou nobles, qui ont eu le privilège d’être momifiés à leur mort. Sachez qu’il n’y a pas ici de pharaon. Pour cela, il faut se rendre au Musée égyptien du Caire. Ici, chacun a droit à une pièce où l’on a exposé les cercueils, les momies (intactes, avec leurs amulettes) et une projection de leur corps derrière les bandelettes. Des images d’une grande qualité, obtenues grâce à la modélisation en 3D de radiographies (CT scan). Des techniques utilisées depuis la fin du XIXsiècle pour ne pas défaire les bandelettes et ainsi préserver les corps savamment momifiés.

Raconter la vie, la mort

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« On a utilisé un logiciel qui nous a permis d’interpréter les résultats du CT scan, qui génère des milliers d’images. Ça nous a permis de mieux connaître ces gens-là, mais aussi de mieux comprendre les différentes techniques de momification », explique le bioarchéologue Daniel Antoine.

« Ce qui a été fait par le British Museum est assez unique, a précisé Nathalie Bondil, parce que cela nous permet de découvrir la viede ces six personnes, grâce au travail d’enquête des commissaires. » Ce travail mené par le bioarchéologue Daniel Antoine et l’égyptologue Marie Vandenbeusch visait à tracer un portrait humain de ces individus : leur nom, leur métier, leurs caractéristiques physiques, leurs maladies, etc. « On a utilisé un logiciel qui nous a permis d’interpréter les résultats du CT scan, qui génère des milliers d’images, a détaillé Daniel Antoine. Ça nous a permis de mieux connaître ces gens-là, mais aussi de mieux comprendre les différentes techniques de momification, parce qu’elles varient d’une personne à l’autre, selon la période et la région. »

Maladies du cœur et problèmes dentaires

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L’exposition compte aussi quelques artéfacts. 

Grâce à l’analyse de ces images, Daniel Antoine a découvert par exemple que Tamout, la chanteuse d’Amon morte il y a 3000 ans (entre l’âge de 35 et de 49 ans) souffrait d’athérosclérose (plaques dans les artères), « une maladie très moderne », lance-t-il. « On apprend aussi qu’elle avait des problèmes dentaires, peut-être à cause du sable qui se trouvait mêlé à la nourriture. » D’ailleurs, plusieurs des momies ont des caries et des abcès. Malgré le fait que ces personnes appartenaient à une élite, il leur manquait plusieurs dents, ont constaté les commissaires. La consommation abusive de sucre (dattes, miel) est aussi évoquée. « Une des momies avait cinq abcès dans la bouche, a noté Daniel Antoine, une affection qui peut être une cause de mort si elle n’est pas traitée. »

Un enfant de 2 ou 3 ans

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Pour une rare fois, on peut voir la momie d’un enfant de 2 à 3 ans, qui aurait vécu à Hawara entre l’an 40 et l’an 60 de notre ère.

Pour une rare fois, on peut voir la momie d’un enfant de 2 à 3 ans, qui aurait vécu à Hawara (à l’entrée de l’oasis du Fayoum) entre l’an 40 et l’an 60 de notre ère. L’égyptologue Marie Vandenbeusch a voulu réunir dans cette pièce des objets qui témoignent du vécu de cet enfant dans l’Égypte romaine. Parmi ces pièces, on retrouve une tunique rayée – qu’on pourrait confondre avec un t-shirt ! « On a trouvé ces habits, mais aussi des jouets, comme ce petit cheval, dans lequel on se reconnaît facilement. On a remarqué que son corps avait été enveloppé avec beaucoup de soin, a-t-elle précisé. Moi, ça m’a beaucoup touchée. » Sur le linceul placé sur la partie inférieure de la momie, on peut voir des scènes traditionnelles comme cet enfant qui présente des offrandes aux dieux.

Techniques de momification

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Sur les bandelettes de lin qui recouvrent le jeune homme de Thèbesqui a vécu au IIe siècle, on peut voir un portrait de lui.

La conservation du corps des défunts visait à leur assurer une demeure éternelle. La plupart du temps, ils étaient vidés de leurs organes, à l’exception du cœur, qui était considéré comme l’âme du défunt. Mais, curieusement, le jeune homme de Thèbes (Louxor aujourd’hui), qui a vécu à l’époque romaine (au IIsiècle), a tous ses organes. Pourtant, son corps est étonnamment bien conservé, ont constaté les commissaires. Seul le cerveau du garçon âgé de 17 à 20 ans a été extrait (minutieusement, sans le défigurer). Sur les bandelettes de lin qui recouvrent le garçon, on peut voir un portrait de lui, cheveux noirs bouclés, sourcils épais et grands yeux. L’examen des images tomographiques permet de conclure qu’il souffrait d’embonpoint.

Au Musée des beaux-arts de Montréal du 14 septembre au 2 février 2020