Cet été, des artistes plongent dans leurs souvenirs pour analyser leur première œuvre professionnelle. Aujourd’hui : Marc Séguin

Reconnu pour ses tableaux qui exposent le caractère trouble de la nature humaine, Marc Séguin est un nom qui vaut aujourd’hui son pesant d’or. Pourtant, lorsqu’il a vendu ses premières œuvres, en 1996, il ne comprenait pas que son travail pouvait avoir une certaine valeur en argent.

Le peintre avait 25 ans lorsque le Centre d’art actuel Plein Sud a organisé sa première exposition officielle. Très vite, ses toiles ont été achetées par le Musée d’art contemporain, le Musée national des beaux-arts du Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec. Un succès surprise. « Toute mon adolescence et à l’âge adulte, mon parcours d’artiste avait été forgé sur les bases que je n’en vivrais jamais, explique-t-il. Quand une personne m’achetait une œuvre, je pensais automatiquement au nombre de mois d’atelier que ça paierait. »

Naissance artistique

Se disant privilégié de bien gagner sa vie aujourd’hui, il affirme néanmoins que son premier salaire est venu des gens qui lui disaient être bouleversés par ses œuvres. Et des spécialistes qui ont confirmé sa place dans le milieu, il y a 23 ans. « J’étais un petit cul qui sortait de l’université. Le fait d’avoir une exposition dans un circuit officiel, ça m’a donné du concret. » Sans oublier un vif intérêt médiatique.

L’exposition a été très couverte par la presse spécialisée. Puis, deux essayistes ont voulu me rencontrer pour écrire un texte. Tout d’un coup, je venais au monde.

Marc Séguin

Cette naissance artistique ne l’a pourtant pas rendu riche instantanément. Pendant huit ans, en plus de créer, il a travaillé dans des chantiers de construction, dans un club vidéo et à l’hôpital Louis-Hippolyte-La Fontaine durant les quarts de nuit. « Je travaillais environ 90 heures par semaine. À l’époque, n’importe quel boulot alimentaire était une bénédiction, car il me permettait de payer mon atelier et mes matériaux pour me rendre jusqu’à la prochaine exposition. »

Il ne se verrait plus faire comme avant. « Je ne pourrais pas travailler autant d’heures et gérer tous les refus pour des bourses et des expositions. Pendant longtemps, mon ratio était de 19 refus pour une acceptation… Aujourd’hui, je bénéficie d’un certain capital de sympathie, mais j’essuie encore des refus. À 49 ans, ça me détruit encore. »

« Une chienne terrible »

Le peintre ajoute que sa confiance en lui est semblable à celle qu’il avait à 25 ans. « Quand une exposition approche, j’ai une chienne terrible de présenter de nouveaux tableaux. Je suis chanceux, car j’ai des gens qui me suivent et qui me font confiance. Mais ça se peut que quelqu’un crache sur mon travail. Si je me plante, je dois vivre trois ans avec ça. On est aussi bon que la dernière affaire qu’on a faite… »

Cette angoisse ne l’empêche toutefois pas de prendre des risques. « Peut-être que mes nouvelles œuvres ne plairont pas à ma base ou aux collectionneurs. Par contre, quand je vois que des jeunes aiment ce que je fais, ça démontre que je reste peut-être actuel. Lorsque ça fait 30 ans que tu fais quelque chose et que tu parles à quelqu’un qui n’était pas né quand t’as commencé, c’est une belle place où se trouver. »

Le temps l’a tout de même aidé à solidifier son discours.

Je suis capable de dire que j’assume ce que j’ai fait. Mais dans les gestes, la fragilité est la même qu’avant, sinon pire. Plus on vieillit, plus on devient craintif des gestes qu’on pose.

Marc Séguin

Quand on lui demande d’analyser la qualité de ses premières œuvres avec le recul, il parle de fierté, mais il nuance rapidement son discours. « Je considère qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises œuvres. Il y en a des sincères et des menteuses. En art contemporain, un truc que tu ne sais pas faire, un essai, une erreur ou quelque chose de gauche, c’est payant moralement. Trop de fois dans ma vie, j’ai été sûr d’avoir raté des œuvres, alors que des conservateurs de musée m’ont dit que c’était les bonnes. »

Seul juge

Croyant avoir amélioré son sens autocritique avec le temps, il continue pourtant de se tromper. « Chaque fois que j’étais convaincu de faire une bonne œuvre, je me suis planté. J’ai compris que je ne pourrais pas passer ma vie à être fier de quelque chose que je viens de produire. »

S’il a fait l’expérience du travail collectif en réalisant un film et de la collaboration avec un éditeur en écrivant des livres, le créateur est encore le seul juge de son travail de peintre pendant la création. « Si j’ai assez d’énergie pour continuer un projet, ça veut dire que c’est assez personnel comme démarche. Je ne sais pas si c’est bon ou extraordinaire, mais je commence à sentir un peu quand je suis à la bonne place. »