Voici une exposition du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) qui parle d’un temps où la philosophie influençait l’art et la société. Friedrich Nietzsche et les artistes du Nouveau Weimar traite de l’influence du philosophe allemand sur les artistes, dont les peintres et les sculpteurs de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle.

Symbole d’une nouvelle modernité, philosophe le plus influent de son époque, Friedrich Nietzsche (1844-1900) célébrait le nouvel homme libre, cet übermensch (littéralement un surhomme), être à la fois éveillé, dégagé de toutes croyances et appelé à « devenir lui-même ». Un nouvel être frondeur et amoureux des arts. Autant dire que les artistes allemands et germanophiles s’abreuvèrent alors sans relâche à cette invitation à se surpasser et à rejeter les diktats culturels et religieux du passé.

Mise sur pied par un professeur d’histoire de l’art de l’Université de Vienne, en Autriche, Sebastian Schütze, l’exposition Friedrich Nietzsche et les artistes du Nouveau Weimar évoque cette période éclatante, avant que la pensée nietzschéenne ne soit également récupérée par l’extrême droite européenne.

L’exposition du MBAC est organisée dans le cadre de sa série Comprendre nos chefs-d’œuvre, car elle part d’une œuvre de la collection du musée, un buste de Nietzsche réalisé par le sculpteur symboliste Max Klinger. Le fil conducteur de l’expo réside aussi dans le rôle qu’a joué le comte Harry Kessler, devenu directeur du Musée grand-ducal d’art et d’arts appliqués de Weimar peu après la mort du philosophe. 

Harry Kessler était un ami de la sœur de Nietzsche. Il a joué (comme elle) un grand rôle dans la conservation des archives du philosophe et dans le développement artistique de cette ville du land de Thuringe où fut rédigée la Constitution officielle de la République de Weimar, la démocratie parlementaire allemande qui dura de 1919 à 1930. 

34 œuvres 

On peut admirer dans l’expo 34 œuvres de ces artistes du Nouveau Weimar, adeptes de la mythologie nietzschéenne, notamment Max Klinger, l’architecte et designer belge Henry Van de Velde, l’impressionniste Hans Olde, Curt Stoeving ou encore l’expressionniste Edvard Munch. 

L’une des plus belles œuvres de l’exposition est certainement le Portrait de Friedrich Nietzsche dans une pose mélancolique, du photographe Gustav Adolf Schultze. Un cliché emblématique qui date de 1882, imprimé à l’époque en carte postale et souvent utilisé par d’autres artistes, dont Munch, comme base de travail d’un portrait. La photo montre un Nietzsche en pleine possession de ses moyens, sept ans avant qu’il ne soit atteint par une grave dépression nerveuse qui lui gâchera le reste de sa vie. 

Max Klinger 

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

Friedrich Nietzsche, vers 1904, Max Klinger, bronze. Musée des beaux-arts du Canada. Don du Robert Tanenbaum Family Trust, Toronto, 1999.

De Max Klinger, on peut voir une demi-douzaine d’œuvres dont le masque mortuaire de Nietzsche (un bronze de 1901), un buste du philosophe avec sa célèbre moustache et ses sourcils fournis (créé en 1902) et un autre buste, posé sur un socle poli noir réalisé en 1904 à partir d’une sculpture en marbre de 1903. Existant en trois exemplaires, cette dernière œuvre appartient depuis 20 ans au musée grâce à un don de la succession de Robert Tanenbaum. 

Malheureusement, l’exposition ne comprend pas le fameux Beethoven nu et drapé de Klinger, un monument imposant en marbre, ivoire et bronze qui appartient au Musée des beaux-arts de Leipzig. Mais le commissaire autrichien est parvenu à obtenir une étude préparatoire à la pierre noire réalisée par Klinger pour sa sculpture du compositeur allemand qui est une incarnation de l’übermensch nietzschéen. 

Edvard Munch 

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

Portrait du comte Harry Kessler, 1906, Edvard Munch. Musée Munch, Oslo.

Six œuvres d’Edvard Munch illustrent l’attachement du peintre norvégien à Nietzsche. À commencer par son dramatique Autoportrait à la lyre, révélateur des écrits du philosophe. Munch croquera aussi le portrait de Nietzsche au crayon en 1906, alors qu’il résidait lui aussi à Weimar. La même année, il a également réalisé un très beau Portrait du comte Harry Kessler

On doit au peintre allemand Curt Stoeving le portrait très évocateur de Nietzsche résidant, à la fin de sa vie, chez sa mère à Naumbourg. Stoeving l’a représenté dans l’environnement verdoyant d’une pergola. Le philosophe atteint de démence y paraît étouffé par son environnement et un peu absent.

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC

La glace de la chambre verte, 1908, Pierre Bonnard. Indianapolis Museum of Art, Indianapolis, Fonds James E. Roberts.

L’exposition présente aussi La glace de la chambre verte, une huile de Pierre Bonnard que Kessler avait accrochée dans sa maison de Weimar, ainsi que L’âge d’airain, la sculpture en bronze de Rodin qui appartient au MBAC depuis 1956. Il s’agit d’un clin d’œil à Kessler puisqu’il acheta, lui aussi, l’un des moulages de L’âge d’airain pour le musée grand-ducal. 

Ouvrages

Dans des vitrines, Sebastian Schütze a placé quelques éditions soignées d’ouvrages du philosophe (Ainsi parlait Zarathoustra, Ecce Homo. Comment on devient ce que l’on est, Dithyrambes de Dionysos), des revues d’art et un ouvrage de design moderne de Van de Velde, Vom Neuen Stil (Du nouveau style). 

On peut admirer quelques livres de Ralph Waldo Emerson, tels que Versuche (Essais), de 1858, auquel Friedrich Nietzsche était très attaché. Le poète et philosophe américain a été le fidèle compagnon du doute de Nietzsche dès ses études collégiales. 

À noter qu’un catalogue de 120 pages accompagne l’exposition. Très fouillé, l’ouvrage rend compte de l’importance qu’a eue Nietzsche sur les artistes et l’art moderne et témoigne de l’effervescence de ce mouvement Nouveau Weimar avant qu’une ombre dramatique ne s’abatte quelques années plus tard sur l’Allemagne… 

Friedrich Nietzsche et les artistes du Nouveau Weimar, au Musée des beaux-arts du Canada, jusqu’au 25 août