Grande star des comédies américaines, Jim Carrey a acquis une renommée internationale avec ses dessins satiriques publiés sur Twitter depuis l’élection de Donald Trump, en 2016. Le Centre Phi en expose une cinquantaine, jusqu’au 1er septembre, dans le Vieux-Montréal. Actuellement en tournage pour la série Kidding, à Hollywood, l’acteur canado-américain a fait part à La Presse, hier, de son bonheur de créer autant devant la caméra qu’un crayon à la main.

À Los Angeles, Jim Carrey s’est offert une vue imprenable sur la cité californienne. Un appartement loué au sommet d’un gratte-ciel. « C’est mon phare, dit-il. De là, je diffuse ma lumière sur l’obscurité environnante ! »

Dans cet atelier aérien, il a commencé, hier matin, un portrait à l’huile d’Andy Warhol. « Cela me donne tant de joie, dit-il au téléphone. Vous n’avez pas idée. La joie de créer, c’est comme la naissance d’un enfant, mais tous les jours. »

Ce sont toutefois ses caricatures quotidiennes – auxquelles près de 19 millions de personnes sont abonnées sur son compte Twitter – qui l’ont rendu célèbre dans le milieu des arts visuels. Des dessins satiriques qui expriment son point de vue sur l’actualité américaine et internationale.

« Tous les soirs, quand je reviens du studio de tournage, je me remets devant la toile et reprends ma peinture. Et le matin, après avoir regardé les nouvelles pendant 30 minutes, je m’installe à ma petite table et dessine ma caricature dans mon cahier. »

Jim Carrey a toujours dessiné. Avec un talent indéniable. En 2011, après un dépit amoureux, le crayon lui a servi d’exutoire. Et il s’est pris au jeu. Quand Trump a été élu en 2016, il s’est lancé corps et âme dans le dessin engagé. Pour réagir à cette élection qui avait résonné dans sa tête comme un coup de tonnerre.

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Vue de l’expositionThis Light Never Goes Out – Les dessins engagés de Jim Carrey, au Centre Phi, jusqu’au 1er septembre

« J’avais besoin de le faire pour moi-même et pour les gens, dit-il. Car le spectacle [politique] auquel on est convié est difficile à regarder. C’est comme si on était dans un parc d’attractions géré par le diable. Bien des gens sont désemparés. Cet art est ma façon de dire aux gens que je suis dans le même bateau qu’eux. » — Jim Carrey, à propos de ses caricatures

Intéressée par la créativité de Jim Carrey, la fondatrice du Centre Phi, Phoebe Greenberg, est allée le rencontrer à Los Angeles. Ensemble, ils ont choisi 55 dessins, dont une grande partie touche à la présidence de Donald Trump. Jim Carrey ne cache pas son allergie aux idées et au style du président américain. Il critique autant qu’il peut ses écarts et les dérives conservatrices de la droite américaine. Mais il assure ne pas détester les personnes qu’il dessine.

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Phoebe Greenberg, fondatrice du Centre Phi, a rencontré Jim Carrey à Los Angeles pour obtenir cette exposition de ses dessins.

« Je déteste leur inconscience, nuance-t-il. Exprimer mon indignation par mon art dans les médias sociaux, c’est ma manière d’être solidaire avec les millions de gens qui ont les mêmes préoccupations que moi. »

Jim Carrey pousse la satire très loin. Donald Trump et ses proches en prennent pour leur rhume. Les défauts du président américain, de ses avocats et conseillers, comme Michael Cohen ou John Bolton, ou de son ex-porte-parole Sarah Sanders sont exprimés avec force, dans la tradition de la caricature percutante, comme celle de Charlie Hebdo.

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MONSTROUS !, 17 mars 2018, de Jim Carrey. « Voici le portrait d’une soi-disant chrétienne dont l’unique but dans la vie est de mentir au nom des méchants. Monstrueux ! ».

« Il ne faut pas oublier la réalité, dit-il. Les lois [américaines] affament bien des gens et nuisent aux femmes qui veulent interrompre leur grossesse. On revient aux années 40. Il y a des injustices. C’est pour ça que je crée ces caricatures. »

Mais ce style corrosif ne lui vaut pas que des amis… « J’ai déjà été averti et même contacté par les services secrets américains, qui voulaient me rencontrer car ils estimaient que j’incitais à la violence, dit-il. Je leur ai répondu qu’ils devraient plutôt s’adresser aux personnes qu’ils protègent. Car [le président] est le plus grand fomentateur de violence que nous ayons eu à la Maison-Blanche depuis une centaine d’années. »

Ses dessins veulent illustrer l’atmosphère qui règne aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump. Jim Carrey en est-il déprimé ? Il répond être inquiet et en colère contre ce qui se passe au plus haut niveau de l’État, notamment, dit-il, « la cruauté en vigueur et le mépris envers l’humanité, envers les minorités et les femmes ».

« Les dessins peuvent donner à penser que je suis angoissé et souffrant, mais je ne le suis pas. » — Jim Carrey

« C’est la magnificence et l’alchimie de l’art, poursuit-il. Vous prenez les problèmes de la vie et même les belles choses de la vie et, avec cette matière, vous créez quelque chose d’entièrement nouveau. Ça, ça me donne une vraie fierté et un sens de l’accomplissement. »

Dans ses dessins, Jim Carrey dénonce aussi la législation sur les armes à feu aux États-Unis. « Comme Canadien, je trouve ça incroyable, dit-il. Quand une personne meurt en traversant la rue, on va décider de mettre un passage piéton, mais pour des tueries de masse, on ne fait rien, encore et encore. C’est la maladie de l’avidité. »

L’expo présente une seule caricature de Barack Obama, datée de janvier 2017, réalisée en quelques coups de crayon. Avec le commentaire suivant : « Cher Barack Obama, je m’ennuie déjà de votre intelligence, de votre intégrité, de votre élégance et de votre humour. »

De l’humour, il n’en manque pas dans l’exposition, avec des sujets moins dramatiques sur notre réalité en 2019. Comme ce dessin très simple d’une main nue, publié le 11 mai dernier et intitulé Main humaine sans téléphone cellulaire !

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Human Hand Without Cell Phone, 11 mai 2019, Jim Carrey

Mais c’est encore dans la critique que Jim Carrey se sent le plus à l’aise et que son art prend de l’ampleur. Il dit avoir le devoir de forcer le trait pour décrier les « erreurs » commises sous la présidence de Trump.

« L’évolution de l’humanité n’est pas linéaire, dit-il. Il y a parfois des retours en arrière. Toute personne qui en a les moyens ou qui a une voix doit montrer le chemin de la raison et de ce qui est utile. Beaucoup de gens pensent être sans valeur et font des choix en se basant sur cette fausse impression. Malheureusement, beaucoup perdent ainsi la vie à cause de bouffons. »

À côté de ses caricatures, une peinture est accrochée dans la salle du Centre Phi. Créée au début du mois, elle montre une chaise bancale sur fond de drapeau américain. Avec l’inscription : « Alors que le monde vient de se souvenir du sacrifice insondable des soldats alliés sur les plages de Normandie, notre démocratie vacille. » Tout près, une photographie de la première page de la Constitution américaine est traversée par des ailerons de requins…

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À côté des caricatures de Jim Carrey, une peinture est accrochée dans la salle du Centre Phi. Créée au début du mois, elle montre une chaise bancale sur fond de drapeau américain.

Hier après-midi, Jim Carrey a annoncé son exposition à Montréal à ses amis de Twitter. Il espère venir la voir cet été. Car il dit beaucoup aimer Montréal où il a de tendres souvenirs de jeunesse avec une certaine « Marie-Claude » ! Il est toutefois très occupé par le tournage de la deuxième saison de la série Kidding. Car pour lui, pas question de choisir entre les arts visuels et le cinéma.

« Pour moi, les deux sont identiques, dit-il. Je fais de la sculpture et de la peinture avec mon corps comme j’en fais avec les mots, les pensées et les émotions. Dans l’art, c’est l’implication qui compte. Avec votre esprit, vos mains et votre cœur, afin d’être présent et libre. C’est la raison de mon engagement. »

This Light Never Goes Out – Les dessins engagés de Jim Carrey, au Centre Phi, jusqu’au 1er septembre