La gravure est un volet méconnu de l’œuvre d’Alanis Obomsawin. La réalisatrice abénakise de documentaires engagés sur les Premières Nations crée pourtant des estampes depuis plus de 30 ans. Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) en a rassemblé une quarantaine qui évoquent, avec force, la survivance des autochtones canadiens et les rêves fantastiques de cette artiste d’exception.

Cet été, tout passage au MBAM comprendra avantageusement un arrêt au centre des arts graphiques du musée, où sont exposées les œuvres gravées d’Alanis Obomsawin. Une première grande rétrospective muséale des estampes de l’artiste autochtone que l’on visite tout en entendant ses chants.

La gravure aura passionné Alanis Obomsawin autant qu’elle lui aura servi d’exutoire et de discret porte-voix. Elle a appris à maîtriser cet art à l’atelier Evelyne-Dufour, dans Notre-Dame-de-Grâce, dans les années 80. Une activité artistique délicate, feutrée et précise, proche de la méditation, à laquelle Mme Obomsawin s’est même adonnée lors de ses longs voyages en avion ! 

Les deux salles du centre sont de véritables espaces de relaxation et de réflexion avec ce déploiement de 40 estampes découlant tant de l’imaginaire que du parcours de cette grande dame abénakise de 86 ans qui a fait sa marque avec ses 50 documentaires consacrés à la réalité autochtone. 

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L’artiste abénaquise Alanis Obomsawin au Musée des beaux-arts de Montréal lors de la visite de presse, le 7 juin dernier

« Ces œuvres [gravées] sont les témoins et la mémoire de ma vie et de mes rêves. » — Alanis Obomsawin

Les rêves sont au centre de son processus créatif. Alanis Obomsawin conserve le souvenir de la plupart d’entre eux et les transfère à la pointe sèche. C’est le cas de ses gravures consacrées aux chevaux. Des chevaux transformés physiquement dans ses rêves et qu’elle reproduit tels quels. « Ce n’est pas facile de transposer ses rêves en dessin, car ce qu’on rêve n’est pas comme dans la vie », dit-elle. 

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Cheval vert, 1990, Alanis Obomsawin, monotype.
Collection de l’artiste.

Le plus ancien des dessins exposés est un monotype de 1990, Cheval vert, créé en pleine crise d’Oka. Il évoque un rêve d’Alanis Obomsawin dans lequel un cheval vert passait son temps à la poursuivre. Mais elle l’avait si bien apprivoisé qu’il avait fini par lui offrir un bouquet de fleurs ! 

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAM

Mère de tant d’enfants VI, 2004, Alanis Obomsawin, pointe sèche et eau-forte. Collection de l’artiste.

Un mur est entièrement consacré à ses estampes sur le thème de la mère. Avec sa série Mère de tant d’enfants, Alanis Obomsawin promeut l’importance pour une mère de vivre pleinement sa maternité avec son enfant. En restant avec lui durant les premières années. « Avant, la mère n’était jamais séparée de son enfant alors qu’aujourd’hui, ce n’est pas la même histoire », a-t-elle lancé. 

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Pensionnat indien 1934, 2004, Alanis Obomsawin,
pointe sèche et eau-forte. Don d’Hilliard T. Goldfarb au MBAM, en l’honneur d’Alanis Obomsawin.

Une estampe, Pensionnat indien 1934, aborde la douloureuse question des pensionnats canadiens, où ont été emmenés de force des enfants autochtones, de 1883 à 1996. Alanis Obomsawin en a représenté quelques-uns, leurs mains agrippant un fil barbelé, et portant tous une cravate à l’occasion de la visite d’un évêque. À noter que le prochain film documentaire d’Alanis Obomsawin portera sur les droits des enfants. Il sortira à l’automne.

L’éclairage, dans les salles d’exposition, a été atténuée pour ne pas endommager ces œuvres rares, fragiles et très travaillées. Alanis Obomsawin a en effet vite saisi les raffinements de la gravure; elle apporte de surcroît sa touche particulière avec des impressions originales et remarquables sur papier artisanal. Lors de la visite, il faut prendre le temps de regarder de près ces papiers dont on distingue parfois les petits copeaux de bois. 

Le visiteur remarquera également que les murs des deux salles ont été peints en rouge, en hommage aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées au Canada. Une affaire qui a bouleversé Mme Obomsawin, qui rappelle avoir été battue dans son enfance et s’étonne encore de ne pas avoir disparu, elle aussi.

Vannerie abénakise

Commissariée par Hilliard T. Goldfarb, conservateur sénior au MBAM, l’exposition comprend quelques objets du Musée des Abénakis, à Odanak, la réserve (près de Sorel) où Alanis Obomsawin a passé son enfance. Avec notamment des paniers en éclisses de frêne et foin d’odeur, certains récents et d’autres plus anciens. 

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Plusieurs des gravures d’Alanis Obomsawin
ont pour thème le cheval.

La vannerie est un art séculaire chez les Wabanakis (la confédération autochtone à laquelle appartiennent les Abénakis). La propre famille d’Alanis Obomsawin a subvenu à ses besoins grâce à la vannerie et aux herbes médicinales. 

Résilience, attachement à sa culture, fierté des origines, force de la survivance : Alanis Obomsawin suggère, au moyen de ses œuvres gravées, combien elle a repris à son compte la devise québécoise. Voici une artiste qui se souvient en permanence d’où elle vient et qui elle est. 

« Savoir est une richesse, dit-elle. On n’a pas à attendre que le gouvernement ou l’Église vienne nous aider. L’aide fait partie de nous-mêmes, de notre savoir. Je suis très heureuse de vivre aujourd’hui, car je vois la différence. Aujourd’hui, partout au Canada, des gens nous écoutent et ne jugent pas avant de connaître. L’intérêt que l’on suscite est beaucoup plus profond que l’espoir. C’est extraordinaire. Il faut savoir en profiter. » 

Alanis Obomsawin, œuvres gravées, au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu’au 25 août