Une robe-kimono de John Galliano, la signature de Toulouse-Lautrec inspirée des gardes de sabre japonais, une chaise longue en bambou: l'art japonais a pénétré toutes les strates du design et des arts français, comme le montre Japon-Japonismes au Musée des arts décoratifs de Paris.

«Le japonisme irrigue une grande partie de l'art occidental»: Olivier Gabet, directeur du Musée et commissaire général de l'exposition, en fait la démonstration sur 2200 m2 au travers de 1400 oeuvres d'art allant de la mode à la photographie, en passant par le graphisme et le design.

L'exposition (jusqu'au 3 mars 2019) s'inscrit dans le cadre de la gigantesque saison culturelle Japonismes, qui rassemble près de 70 grands événements culturels dans toute la France en l'honneur des 160 ans des relations diplomatiques entre Paris et Tokyo. Cette année du Japon, qui a déjà attiré 700 000 visiteurs depuis cet été, selon la Maison de la culture du Japon à Paris, honore également les 150 ans de l'avènement de l'ère Meiji, en 1868.

Suivant l'ouverture des ports japonais dès 1854, cette époque marque la fin de l'isolement de l'Archipel, qui avait interdit tout lien avec l'étranger en 1639.

Après la réclusion volontaire, c'est l'ouverture totale vers l'étranger, faisant découvrir à l'Occident un pays fabuleux, comme le montre une autre exposition: Meiji au musée Guimet de Paris (jusqu'au 14 janvier 2019).

L'Archipel va immédiatement fasciner, tels que le prouvent les fabuleux objets exposés au Musée des arts décoratifs. Ainsi, dès les années 1860, Emile Reiber, considéré comme l'un des premiers «designers» français, conçoit des services et meubles Christofle utilisant non seulement les dessins nippons mais également les techniques, comme la laque et le cloisonné.

Un autre designer, le Britannique Christopher Dresser, ira plus loin: il se rendra au Japon en 1876-77 et en reviendra avec un minimalisme inédit pour l'époque, incarné par ses célèbres théières et cruches d'un modernisme très dépouillé.

Plus qu'un mouvement

À la toute fin du XIXe siècle, c'est le marchand d'art allemand Siegfrid Bing, grand «japoniste», qui influence fortement l'Art nouveau, nom qu'il avait lui-même inventé pour baptiser sa galerie parisienne.

Les Monet, Van Gogh et Degas se laissent envahir par les estampes ; Toulouse-Lautrec signe «HTL» dans un cercle imitant un tsuba (une garde de sabre japonais) et un cabaret montmartrois s'ouvre sous le nom: «Le Divan japonais».

La mode japonisante ne s'arrête pas aux seuls arts «majeurs» comme la peinture. «Le Japon est présent dans tous les domaines: le graphisme, la mode, le textile, la photographie, le design...», explique M. Gabet, d'où le pluriel à Japonismes dans le libellé de l'exposition.

«Au Japon, il n'y pas de hiérarchie dans l'art: le laqueur est aussi important que le peintre. Il n'y a pas de primat comme en Occident», souligne le commissaire.

L'influence va ainsi être prépondérante dans les arts décoratifs. Au milieu du XIXe, le céramiste Félix Bracquemond est le premier à découvrir Hokusai, célébrissime peintre-dessinateur japonais, et emprunte ses traits pour décorer ses services de vaisselle, avec un grand succès. «C'était chic d'aimer le Japon. Les objets étaient très populaires», souligne M. Gabet.

L'appétence pour tout ce qui fleure le Japon ne se démentira pas avec le temps. «Le japonisme est totalement différent d'un mouvement, qui est fermé et fini dans le temps: le japonisme, lui, est une fascination persistante», ajoute t-il.

Ainsi en 1940, la designer française Charlotte Perriand effectue un long séjour au Japon et y crée sa chaise longue de bambou tressé baptisée «Tokyo», devenue iconique depuis.

Plus tard encore, Yves Saint Laurent détourne l'exotisme nippon pour ses fabuleuses créations, à voir dans l'exposition qui lui est consacrée dans le musée éponyme à Paris (jusqu'au 27 janvier).  

Et en 2019, l'architecte japonais Tadao Ando inaugurera une nouvelle Bourse de Commerce à Paris aux sculptures minimalistes très nippones, comme le montre le Centre Pompidou, dans une exposition consacrée à l'artiste (jusqu'au 31 décembre).

«Le japonisme ne s'arrêtera jamais», en conclut Olivier Gabet.