Programmer Michel de Broin et Caroline Monnet pour étoffer les grandes salles blanches de la galerie Division est une initiative réussie. Maître du conceptuel et du détournement de sens, Michel de Broin ne cesse de nous surprendre, comme ici, avec ses conduites aux comportements étranges. Tout comme Caroline Monnet, qui prend le même chemin de l'excellence et de l'innovation, avec des oeuvres qui parlent fort de ses racines algonquines. Un duo de choix à l'Arsenal...

Michel de Broin

Cette belle série de sculptures intitulée Anomalie évoque des canalisations domestiques en cuivre qui, «libérées», se mettraient à se déformer comme du plastique fondu. Pour créer les noeuds de ces tuyaux étranges faisant penser à des organes, Michel de Broin a utilisé le procédé de la cire perdue pour la partie nouée qu'il a ensuite associée aux parties rectilignes de l'oeuvre. La série n'est pas entièrement en cuivre, mais en bronze (pour les «noeuds») et en acier (pour les parties droites), le tout étant recouvert d'un placage cuivré.

Alors que les oléoducs sèment la discorde au Canada, Michel de Broin a profité d'un passage à Vancouver pour élaborer l'idée de faire un noeud dans un pipeline! Syndrome rappelle la forme d'un intestin humain. Un clin d'oeil à l'origine organique du carburant fossile et à notre dépendance... viscérale au pétrole. L'oeuvre a l'air d'être en acier, mais elle est en fait constituée de fibres de verre recouvertes d'une patine de poudre d'acier qui imite la corrosion. On y retrouve la délicate touche de Michel de Broin qui mêle réalisme, humour et critique sociale.

Pour cette sculpture en polymère et en fibre de verre, Michel de Broin a divagué autour de l'idée du joint universel. Avec toutes les possibilités de connexion qu'envisagerait un plombier pour s'adapter à différents conduits! Une sorte de fantasme d'interconnexion sans limites. D'où le titre de l'oeuvre: Interopérabilité. Le fini est réalisé avec de la fibre de nylon pulvérisée et collée sur le métal, comme on le fait dans l'industrie automobile. L'oeuvre est présentée sur un beau socle, pour magnifier cette sculpture au parfum de constructivisme soviétique.

Caroline Monnet

Avec sa série de plaques de cèdre pyrogravé Front de la rivière Désert, l'artiste d'origine française et autochtone a choisi d'honorer la richesse des créations des matriarches de sa famille. Bois sacré, le cèdre blanc sert de support pour accueillir des motifs décoratifs de tissus ou de paniers transmis par sa belle-mère aujourd'hui décédée. Une façon pour Caroline Monnet de se reconnecter à ses racines et de ne pas oublier la sédentarisation forcée de ses ancêtres à Maniwaki après que leur camp d'été d'Oka eut été brûlé pour l'agriculture. D'où l'idée de bois pyrogravé parcouru de lignes horizontales qui suggèrent les différentes fragmentations du territoire par les colons européens.

History Shall Speak for Itself a été créée pour revêtir les vitrines d'un local, au dernier Festival international du film de Toronto (TIFF). Il s'agit de l'imbrication par bandes verticales de sa photographie Renaissance (présentée cette année à la 4e Biennale d'art contemporain autochtone) et d'images d'archives de représentations stéréotypées de femmes autochtones. Dans un cas, la réalisatrice Alanis Obomsawin, l'actrice Dominique Pétin, la designer Swaneige Bertrand, la chanteuse et réalisatrice Catherine Boivin et les soeurs (et artistes) Émilie et Caroline Monnet fixent du regard l'appareil photo avec fierté. Telles des personnes engagées dans la société. Alors que dans les images anciennes, les femmes sont montrées passives ou exécutant des tâches quotidiennes et ne fixant pas l'objectif photographique.

Réalisée avec la membrane synthétique Tyvek et du bois aggloméré de type Masonite, Maniwaki est un hommage de Caroline Monnet au lieu géographique d'où est originaire sa mère algonquine, plus exactement la réserve de Kitigan Zibi. Et bien sûr à la longue épopée liée à ces lieux chargés d'une histoire n'ayant pas eu les honneurs d'un rayonnement approprié. L'association des deux matériaux industriels symbolise également les deux facettes de l'artiste et des autochtones contemporains, naviguant entre modernité (le carré) et tradition (le rond). Une oeuvre de mémoire, de fierté et d'espoir.

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La conduite des conduites, de Michel de Broin, et Au nom du progrès, de Caroline Monnet, jusqu'au 17 novembre.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Au premier plan, Anomalie IV, 2018, Michel de Broin, bronze fondu, acier zingué et placage de cuivre, 121,9 cm x 27,9 cm x 3,8 cm