À 95 ans, Françoise Sullivan incarne encore et toujours le bonheur de vivre et de créer. Après le Musée d'art contemporain de Baie-Saint-Paul en 2016, la Galerie de l'UQAM l'an dernier et des accrochages réguliers chez son galeriste Simon Blais, l'artiste visuelle la plus éclectique que le Québec ait connue retrouve les honneurs d'une rétrospective au Musée d'art contemporain de Montréal.

Le tourbillon de reconnaissance n'affecte pas Françoise Sullivan, à la santé de fer. Elle est ravie de cet hommage concocté au MAC par le conservateur Mark Lanctôt, une exposition qui se déploiera ensuite en Ontario, en 2019 et 2020, puis à Rimouski et à Victoria. Et elle compte bien se rendre à chacun des vernissages!

Françoise Sullivan est dans une classe à part. Mais sa forme physique fait d'abord plaisir à voir. Le temps passe sur elle avec douceur. Et c'est encore avec assiduité qu'elle se voue à sa peinture.

«2018 est une bonne année, dit-elle en entrevue au MAC. J'ai déjà peint 11 tableaux cette année!» Des tableaux de grands formats qui requièrent pourtant bien de l'énergie de sa part...

Infatigable Françoise. C'est l'impression qui ressort de ce déploiement d'une cinquantaine d'oeuvres qui couvre tous les souffles de sa carrière. Une expo qui souligne sa liberté d'artiste et la ferveur créative qu'elle a exprimée avec la peinture, la sculpture, l'art conceptuel, mais aussi la performance, la danse et la chorégraphie.

Enfant autochtone

Dans ses premières peintures figuratives de 1943, Françoise Sullivan est déjà fascinée par les couleurs. «J'avais fait beaucoup d'efforts pour que ce soit ressemblant», dit-elle en riant, en parlant de deux portraits d'une enfant autochtone qu'elle avait peints dans les Laurentides.

Sa série de sculptures des années 60 rappelle ses études à l'École des beaux-arts de Montréal et à l'École des arts et métiers de Lachine qui l'ont conduite à travailler l'acier puis le plexiglas. On ne se lasse pas de tourner autour de son Rideau sonore, association de sphères métalliques suspendues, ou d'admirer son Madame Récamier (Reclining Woman), un ludique divan métallique de 1966 ou encore Sans titre, une oeuvre sur l'équilibre créée en 1960. Et bien sûr, ses spirales vintage en plexiglas, colorées ou translucides.

On revoit avec plaisir les images de sa promenade documentaire, en 1970, entre le MBAM et le MAC, alors à la Cité du Havre, ses Tondi matiéristes du début des années 80 et son retour à la figuration, de 1985 à 1995, avec le Cycle crétois et la série Vestiges, des oeuvres qui évoquent la mythologie antique, réalisées avec des découpages.

Abstractions

Son goût pour l'abstraction resurgit vers 1997 et ne la quittera plus. Avec, notamment, ses Rouge numéros 3, 5, 6 et 2 qui ont marqué son aventure picturale.

Françoise Sullivan confie son grand bonheur de revoir, alignée, sa série Océans née à la suite d'un séjour en Grèce, après qu'elle eut vu, depuis le haut d'un précipice, une source d'eau fraîche créant un halo turquoise dans la mer. «Je voyais les pêcheurs venir chercher de l'eau de source à cet endroit», dit-elle.

L'exposition réserve, bien sûr, une grande place aux danses et aux chorégraphies de Françoise Sullivan, notamment durant sa période automatiste. Avec la série de photos de Danse dans la neige et la gestuelle si inventive de Mme Sullivan. Une étape marquante de sa carrière immortalisée par le photographe Maurice Perron.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Rideau sonore, 1965, Françoise Sullivan, acier, fer, textile, 213,5 cm x 534,5 cm x 4 cm. Collection de l'artiste.

Des tirages de 1998 de Maurice Perron également illustrent Black and Tan, de 1948, dont on présente aussi la coiffe et le costume en jute qu'elle portait durant le spectacle.

Françoise Sullivan se souvient aussi de Dualité qu'elle avait interprétée avec Jeanne Renaud à la Maison James Ross, en 1948. Une oeuvre créée à Montréal, mais commencée à New York, dit-elle, quand elle suivait des cours de danse (en 1945-1946) avec la danseuse américaine Franziska Boas.

«On nous avait demandé de créer une oeuvre et j'avais fait un rêve dans lequel je me voyais en double, dit Françoise Sullivan. Belle et extraordinaire d'un côté, laide et terrible d'un autre, même si j'étais la même personne. Je m'étais dit que c'était un peu ce qu'on était finalement: on est bien, on est bon, mais on est méchant aussi. C'est pour ça que, dans Dualité, il y a deux danseuses, mais c'est une seule personne.»

Dans sa remarque, Françoise Sullivan dévoile l'essence de ce qui a marqué son long et fascinant parcours. Un élan libérant une énergie trouvée dans la réflexion, mais aussi dans ce désir qui ne l'a jamais quittée, celui de créer en conquérant l'espace.

À noter que cette exposition et celle de Julian Rosefeldt, Manifesto, sont les dernières présentées au MAC avant les travaux de transformation et d'embellissement auxquels l'édifice sera soumis l'an prochain. Le musée demeurera actif, précise son directeur général, John Zeppetelli, avec des expositions prévues dans un espace temporaire qui sera annoncé en janvier.

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Françoise Sullivan, au Musée d'art contemporain de Montréal, jusqu'au 20 janvier 2019.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Rouge nos 3, 5, 6 et 2, 1997, Françoise Sullivan, acrylique sur toile, quatre éléments chacun de 152,5 cm x 152,5 cm. Collection du Musée d'art contemporain de Montréal.