Halloween est en avance au 1700 La Poste! L'artiste torontois Ed Pien y exposera en effet dès jeudi, et jusqu'au 20 janvier, ses oeuvres fantomatiques et parfois effrayantes. Des dessins, vidéos, photographies et installations qui figurent notamment les souffrances que l'homme inflige à l'homme et à la nature.

Pour célébrer son cinquième anniversaire, le centre d'art d'Isabelle de Mévius rend hommage à Ed Pien. Un artiste au propos pertinent sur les guerres et les dégâts qui en résultent. Et dont les créations sont mâtinées d'ambiances fantomatiques découlant de ses origines taïwanaises. 

«Avant d'arriver au Canada, quand j'avais 11 ans, mes parents avaient l'habitude de se servir des fantômes pour me faire peur, a-t-il dit mercredi, lors du parcours de son exposition. En visitant Taiwan, en 1997, j'ai réalisé que les histoires de fantômes y étaient reliées à des images d'enfer et de religion.» 

Ed Pien est réputé pour ses monstres et ses dessins torturés... et parfois inconfortables pour qui les regarde. En même temps, il remet en question notre acceptation de l'altérité et la force de notre sociabilité. 

Démarche

Pour s'exprimer graphiquement, il a adopté une démarche qui tient de la performance et de l'ascétisme. Ed Pien est un moine de l'évocation qui transmet ses peurs, ses obsessions, ses croyances. Et finalement les nôtres.

Son acte créatif est un rituel. Il part d'un jet aléatoire d'encre sur une feuille de papier, dessine rapidement (trois minutes à peine), puis calque le dessin encore humide comme pour l'impression d'un monotype. 

La reproduction induit des formes abstraites qu'il nomme «bruits visuels» et qui vont se transformer en d'étranges créatures. 

Ses feuilles sont ensuite combinées pour former de grands panneaux qui révèlent une scène, une bête, une atmosphère particulière. Son travail est à apprécier de loin et de près, afin de distinguer ses étapes de travail qui s'étalent parfois sur plusieurs années. Des chapitres d'une histoire graphique qui évolue et se transforme au gré des confrontations de pouvoirs maléfiques qui émanent de son imagination et de sa gestuelle. 

On le constatera par exemple avec sa Danse macabre. Deux animaux fabuleux face à face. Également avec The Giant et son titan aux 10 yeux. Et plus encore avec Drawing on Hell II, juxtaposition de 200 dessins cloués au mur avec des épingles. Corps déformés, enchevêtrés, démembrés, personnages à trois têtes, homme décapité, yeux sortis de leurs orbites, personnages vomissant. Comme avec Vladimir Veličković, exposé au même endroit en 2015, toute l'horreur de la violence humaine est là, devant vos yeux.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Créée en 1997-1998 à l'encre sur papier par Ed Pien, l'oeuvre Ghosts a été installée dans une petite pièce du centre d'art, avec une lumière qui confère à l'espace une ambiance fantomatique.

Dans la petite pièce du centre d'art qui a autrefois servi de chambre forte, Ed Pien a disposé Ghosts, dessins de fantômes créés pour une expo à Oboro, en 1998. Les oeuvres évoquent les survivants des bombardements atomiques américains sur Hiroshima et Nagasaki en 1945, avec leurs corps horriblement carbonisés. En soufflant sur les papiers transparents, on découvre les corps des suppliciés japonais recouverts de fantômes verdâtres. 

Photos et vidéos 

L'artiste de 60 ans dessine aussi sans encre ni peinture Flashe. Improvisant, avec ses photographies RainForest prises depuis la vitre embuée d'une auto. Deux oeuvres qui rappellent des aquarelles de paysages japonais. Même chose avec Breath, des photos de son souffle spectral dans la froidure de Dawson City. Et avec sa nouvelle vidéo Strange Forest tournée dans une forêt d'Hawaii dévastée par la lave d'un volcan. Ed Pien y «dessine» avec une caméra qui pénètre à travers des arbres calcinés paraissant animés, comme dans un conte fantastique.

Nouvelles oeuvres 

Sur la mezzanine, on trouvera un nouveau grand papier découpé d'Ed Pien, Sea Change, avec des poissons et des éléments métalliques qui évoquent les dangers de la pollution des océans et des lacs. Kanai Water Drawing traite aussi du problème de l'eau potable. Un travail réalisé par Ed Pien... avec ses pieds! L'artiste avait obtenu de l'eau d'une réserve de Pieds Noirs située près de Calgary. Une eau courante qu'ils ne boivent pas, précise-t-il, car elle est contaminée. Après avoir mis de l'encre dans cette eau, il a mélangé les liquides et laissé sécher pour réaliser ce dessin «politique». 

Au sous-sol du centre d'art, il a installé Revel. Le visiteur est invité à pénétrer dans cette oeuvre sculpturale pour découvrir au centre d'une spirale un assemblage de maisons en suspension tandis que l'ombre d'une jeune fille est projetée sur le mur. Une réflexion sur la migration et la réalisation des rêves de stabilité des nouveaux arrivants. 

Dans cette exposition fort nourrissante qui permet d'apprécier l'ampleur et la diversité du talent d'Ed Pien, il ne manque finalement que le documentaire qui accompagnait les précédents opus du 1700 La Poste. Avec ce doigté de Suzanne Guy qui permettait de révéler l'essence de l'artiste. Toutefois, une publication bien détaillée accompagne ce déploiement de l'artiste torontois, toujours aussi fascinant quand il pointe les noirs desseins des humains et notre attrait pour les cauchemars. 

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Ed Pien, au centre d'art 1700 La Poste (1700, rue Notre-Dame Ouest, Montréal), du 12 octobre au 20 janvier.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

The Giant, 2004-2018, Ed Pien, encre et peinture Flashe sur assemblage de papier, 2,80 m x 3,89 m