Les deux versions de la «Tour de Babel», quatre «Saisons» réunies pour la première fois depuis 400 ans: le Musée des beaux-arts de Vienne offre une plongée approfondie dans l'oeuvre de Pieter Bruegel l'Ancien, à l'occasion de la plus grande exposition jamais consacrée au maître flamand du 16e siècle.

Qui ne connaît l'oeuvre haute en couleurs du peintre anversois, dont les tableaux foisonnant des détails amusants ou macabres ont influencé une riche descendance et fascinent encore un large public près de 450 ans après sa mort en 1569 ?

«Tout le monde connaît Bruegel, ne serait-ce que par des reproductions sur des calendriers ou des boîtes à biscuits. Mais jamais autant de ses oeuvres n'ont pu être réunies en un seul lieu», note Sabine Pénot, une des commissaire de cette exposition proposée par le Kunsthistorisches Museum de Vienne (KHM).

Rassemblant des oeuvres issues d'une trentaine de collections publiques et privées, cette monographie présente 27 des 40 tableaux encore existants du maître à travers le monde, ainsi qu'une soixantaine de dessins et gravures.

«Avoir réussi à réunir autant d'oeuvres relève du miracle. C'est aussi le fruit de six ans de travail» d'une équipe comprenant les meilleurs spécialistes internationaux de Bruegel, souligne Mme Pénot pour l'AFP.

Les peintures, exécutées sur des panneaux de bois épais de quelques millimètres seulement, sont en effet extrêmement fragiles et ne se prêtent que difficilement au transport, rappelle-t-elle.

Dialogue de tableaux

Mais dans la course aux expositions de prestige, le KHM partait avec une longueur d'avance: le musée possède le plus grand fonds de peintures de l'artiste, douze chefs d'oeuvre comme La tour de Babel, La noce paysanne, Les jeux d'enfants et trois des Saisons.

La présence à Vienne d'un tel trésor flamand s'explique par l'Histoire. «Bruegel a été collectionné très tôt par deux Habsbourg, l'archiduc Ernest qui gouvernait les Pays-Bas au sein du Saint-Empire romain germanique et son frère l'empereur Rodolphe II», rappelle l'historienne de l'art Alice Hoppe-Harnoncourt.

Le KHM a par ailleurs lancé dès 2012 une expertise technique approfondie de ses tableaux, à l'aide de rayons X et d'infrarouges notamment, une démarche qu'aucune collection n'avait effectuée de façon systématique auparavant concernant Bruegel.

Sur cette base, plusieurs institutions, notamment en Belgique, ont accepté «d'entrer en synergie pour participer à cette monographie dont beaucoup rêvaient depuis longtemps», et qui fait pendant à celle qu'a consacrée en 2016 le musée de Bois-le-Duc à Jérôme Bosch, l'un des modèles de Bruegel, confie Mme Pénot.

Le résultat est éblouissant et permet notamment de faire dialoguer des tableaux qui n'avaient jamais été réunis depuis le début du 17e siècle. La Tour de Babel de Rotterdam rencontre ainsi celle de Vienne, La fenaison de Prague complète les trois saisons du KHM, la Dulle Griet d'Anvers entre en résonance (apocalyptique) avec Le triomphe de la mort du Prado madrilène.

Parmi les clous de l'exposition figurent également l'Adoration des rois mages dans la neige du musée de Winterthur, qui a nécessité une loi spéciale pour pouvoir sortir de Suisse, ou Le port de Naples, récemment authentifié comme étant bien de Pieter Brugel l'Ancien après restauration à Rome.

Zoom sur les détails

Au nombre des regrets: ne pas avoir réussi à faire traverser l'Atlantique à La moisson du Metropolitan museum de New York, qui aurait permis de présenter l'intégralité des cinq saisons existant encore de nos jours, avoue Mme Pénot.

Mais qu'est-ce qui rend Bruegel si fascinant ? «Il parvient à représenter des détails d'une précision stupéfiante tout en les combinant à une profondeur de champ littéralement cinématographique», souligne Manfred Sellink, directeur du Musée royal des beaux arts d'Anvers et cocommissaire de l'exposition.

L'exposition se double d'un site internet (https://www.insidebruegel.net) permettant notamment de zoomer jusqu'au plus profond des tableaux pour y débusquer des détails pratiquement invisibles à l'oeil nu.

Célébré de son vivant déjà et à l'origine d'une longue dynastie d'artistes, Pieter Bruegel l'Ancien n'a cependant pas toujours eu la cote. «Au 18e siècle, la majeure partie de son oeuvre avait été remisée et il n'a véritablement été redécouvert qu'au début du 20e siècle», rappelle Mme Hoppe-Harnoncourt.

Hormis cette parenthèse, «chaque génération a essayé de percer les mystères de Bruegel, mais aucune n'y est véritablement parvenu tant son oeuvre est riche», relève Mme Pénot. «Au final, au-delà de son aspect parfois ludique, il renvoie chacun à soi-même.»

Jusqu'au 12 janvier. www.khm.at