Même si le festival auquel ils devaient participer a été annulé en raison de manifestations violentes, des artistes de Montréal sont allés peindre des oeuvres murales à Port-au-Prince, en juillet dernier. Le tout a été immortalisé dans un court métrage dévoilé aujourd'hui, sur le web. Entrevue avec l'instigateur du projet Xavier Laloux et avec le muraliste montréalais Bryan Beyung.

Quelques jours avant de mettre le cap sur Haïti pour participer à l'événement Festi Graffiti, en juillet dernier, un groupe de graffeurs et d'artistes montréalais a appris que le festival était annulé en raison des manifestations violentes qui ont suivi la décision du gouvernement de hausser le prix des carburants.

Malgré tout, la bande a décidé de se rendre à Port-au-Prince pour peindre quatre oeuvres murales et en faire un court métrage dévoilé aujourd'hui sur le web.

«L'art permet de survivre et d'avoir un contact avec la vie des gens», dit Xavier Laloux, l'instigateur du projet.

Le tatoueur du quartier Hochelaga-Maisonneuve a invité à Port-au-Prince les graffeurs montréalais Thomas Dalemans et Bryan Beyung, ainsi que le réalisateur Jeremy Rubier. Pour coordonner le tout sur le terrain, il a eu de l'aide du père et du fils montréalo-haïtiens Aly et Akim Acacia.

Akim Acacia a survécu au tragique séisme qui a secoué Haïti en 2010. Il tenait une boutique de disques à Port-au-Prince. Sa petite soeur est née deux jours après le drame. Ses parents font partie de la centaine de Canadiens qui se trouvaient en Haïti quand la terre a tremblé et qui sont rentrés à Montréal à bord d'un avion Hercules.

Xavier Laloux a connu Akim Acacia à la boutique d'un marché aux puces. Il a voulu aller peindre des oeuvres murales à Port-au-Prince en hommage à la culture haïtienne et à son apport pour Montréal.

En mars, Xavier Laloux a fait un premier voyage à Haïti pour «repérer des lieux, trouver des murs et rencontrer des artistes locaux».

«J'ai trouvé des artistes sur Instagram, dont Jerry», raconte-t-il.

Lui et ses comparses ont dû expliquer leur démarche aux autorités et justifier en quoi une oeuvre murale est différente d'un simple graffiti. «Là-bas, les murs sont souvent utilisés pour passer des messages politisés.»

Or, c'est plus ou moins bien reçu, car ce n'est pas associé à de la beauté comme c'est le cas ici, rapporte Xavier Laloux: «Le street art n'est pas si évolué là-bas. À Montréal, nous sommes dans un boom du graffiti. C'est perçu comme un embellissement urbain.»

«On voulait montrer à Haïti qu'une murale peut devenir un lieu de rassemblement sécuritaire qui unit les gens.»

«On revenait à l'essence même du graffiti», souligne Bryan Beyung, à qui l'on doit de nombreuses oeuvres murales à Montréal, dont celle du quartier chinois.

Quatre oeuvres

Avant le voyage, un événement-bénéfice a permis d'acheter le matériel requis. «Le coût de la canette et de la peinture n'est pas accessible pour les Haïtiens. Cela faisait partie de la mission de leur laisser du matériel», souligne Bryan Beyung.

Au bout du compte, les Montréalais ont peint quatre oeuvres. À l'improviste et de façon organique, en quelques heures. «Pas avec des sketches sur Photoshop et des projecteurs», souligne Bryan Beyung. 

L'une dans une école secondaire dans le quartier Delmas 33, deux autres à Pétion-Ville et une quatrième murale à Delmas 29.

«Ali nous a fait rencontrer la ministre du Tourisme [Jessy Menos]. Elle adorait l'idée derrière notre visite», souligne Xavier Laloux.

Devant l'un des murs choisis pour une oeuvre murale, il y avait encore des traces des manifestations. 

«Quelques jours avant, cela brûlait à cet endroit. On voyait encore des pneus cramés. Mais là, on voyait des gens sourire, en train de peindre. Des breakdancers se sont même mis à danser. Cela a généré beaucoup d'attention. On s'est même retrouvés au bulletin de nouvelles télévisé», raconte le tatoueur.

Bryan Beyung se réjouit d'avoir pu peindre à Port-au-Prince «une image qui traînait dans ses tiroirs» qu'il devait reproduire à Montréal dans un projet qui a avorté. «Une personne qui a les bras grands ouverts avec un sourire», indique celui qui met présentement la touche finale à une oeuvre murale en hommage à feu Alex Scanner dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce.

«Quand tout s'écroule, la culture reste debout.» C'est avec ces mots de Dany Laferrière que débute le court métrage tourné pendant la création des murales.

On peut y entendre la chanson Saw Tap Di de l'artiste Rockfam.

Bonne nouvelle: c'est partie remise en Haïti pour Xavier Laloux. «On se rendra en novembre à Jacmel avec les graffeurs Ma Licious et Monkey», annonce-t-il.