Grosse semaine à Toronto pour le marché de l'art, avec quatre ventes aux enchères, dont la traditionnelle vente printanière de la Maison Heffel et, pour la première fois dans la Ville Reine, celle de BYDealers, une association de marchands d'art et de galeristes créée à Montréal l'an dernier.

BYDealers est née à l'initiative du galeriste québécois Louis Lacerte, du galeriste montréalais Yves Laroche et de Marc-Antoine Longpré, fondateur d'Artshift, un site de vente en ligne d'oeuvres d'art pour stimuler le marché secondaire.

«Au Canada, les acteurs principaux du marché secondaire, soit de la revente, ce sont les marchands d'art, dit M. Longpré, ex-gestionnaire de portefeuilles chez BMO Nesbitt Burns. Des marchands d'art canadiens avaient perdu des clients de longue date en faveur de maisons d'enchères. Ils ont voulu réagir en se regroupant pour créer BYDealers, une initiative unique en Amérique.»

La première enchère de BYDealers a eu lieu le 6 novembre dernier, à Montréal. Quinze marchands et galeristes y ont participé, pour des ventes totalisant 3 millions de dollars. La prochaine enchère se tient à Toronto, jeudi à 19 h, avec 26 consignataires québécois, torontois et albertains. Parmi les Québécois présents, signalons les galeries Lacerte, Yves Laroche, Robert Poulin, Laroche/Joncas, Cazeault et Éric Klinkhoff.

Les quatre enchères

La semaine sera donc active dans la capitale ontarienne, avec quatre ventes successives. Aujourd'hui, la maison torontoise Waddington's met en vente 160 pièces, une majorité d'entre elles d'une valeur inférieure à 10 000 $, mais avec quelques têtes d'affiche, dont une toile de Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté estimée à environ 250 000 $.

Demain, ce sera le tour de Consignor Canadian Fine Art, avec 118 lots, dont un William Kurelek estimé à entre 150 000 et 200 000 $. Suivra mercredi la vente de la Maison Heffel (117 lots estimés à entre 11,6 et 17 millions de dollars) au Design Exchange du TD Centre, et jeudi, celle de BYDealers au Glenn Gould Studio (CBC) avec 74 oeuvres en vente. Au total, 470 oeuvres d'art pourraient changer de main en quatre jours à Toronto.

«Quatre ventes dans la même semaine, c'est un signe de maturité. Le marché de l'art va bien en ce moment», explique Robert Heffel, vice-président de Heffel.

Heffel vend désormais quelques oeuvres d'artistes étrangers, comme Andy Warhol, Hans Hartung et Sam Francis pour la présente vente. «Pour mettre les artistes canadiens dans un contexte plus international et les vendre à la fois au Canada et à l'extérieur», précise Robert Heffel.

Deux Borduas en manchette

Coïncidence ou pas, les toiles vedettes des ventes Heffel et BYDealers sont deux oeuvres de Paul-Émile Borduas peintes la même année, en 1956, à Paris. Heffel vendra en effet Figures schématiques (estimée à entre 3 et 5 millions, un niveau record pour le peintre québécois), une peinture de 130 cm x 195 cm, la plus grande sur le marché privé de sa période noir et blanc. BYDealers vendra un Sans titre de petit format (73 cm x 60 cm) de Borduas, estimé à entre 800 000 $ et 1,2 million.

BYDealers espère réaliser des ventes de 3,5 à 4 millions de dollars cette fois-ci. Elle mettra à l'encan des oeuvres marquantes: une huile de Jean Paul Lemieux estimée à entre 550 000 et 750 000 $, l'acrylique Le no 10, Lafleur, de Serge Lemoyne (de 90 000 $ à 120 000 $) et des oeuvres de Marcel Barbeau, Lynne Cohen, Jacques Hurtubise, Michael Snow, Jean-Paul Jérôme, Rita Letendre, Guido Molinari, Marcelle Ferron, Marc Séguin ou David Milne.

De son côté, outre Figures schématiques, Heffel met en vente un autre Borduas, Untitled Abstraction with Green, de 1959, estimé à entre 300 000 et 500 000 $, deux Riopelle de même cote, deux Lemieux (dont un pourrait atteindre le million) et deux Lawren Harris estimés à plus de 300 000 $.

«Les enchères servent bien les oeuvres recherchées ou emblématiques. Je pense que ces quatre ventes à Toronto, c'est bon pour le marché canadien, qui est un petit marché, et pour les collectionneurs qui s'intéressent aux ventes aux enchères», indique Marc-Antoine Longpré, de BYDealers.

Pour l'instant, la Maison Heffel ne voit pas l'émergence de BYDealers comme étant nuisible. Il faut dire que les deux entités ne sont pas dans la même catégorie : Heffel a été classée l'an dernier par la magazine Art+ Auction parmi les 25 meilleures maisons d'enchères du monde, la seule au Canada à faire partie du palmarès. En 2017, ses deux ventes printemps et automne ont rapporté 38 millions et la firme a généré en plus 10 millions avec ses ventes aux enchères en ligne.

«Le Canada est un grand pays, il y a de la place pour tout le monde, dit Robert Heffel. On continue de travailler très fort au sein de notre écosystème, avec les galeries et les musées. En même temps, on essaie d'être le plus en contact possible avec le public et les collectionneurs. Cette année, pour la première fois, nous avons exposé à Calgary les oeuvres vendues à Toronto. En plus de le faire à Montréal et Vancouver.»

«À Toronto, en ce moment, on est le "talk of the town", dit de son côté Marc-Antoine Longpré. Avec la qualité des oeuvres de la première vente, on a su s'installer comme une maison d'enchères solide et une alternative.»

Photo André Pichette, La Presse

Les frères Robert et David Heffel dans la galerie du bureau montréalais de la Maison Heffel, avec au fond, à gauche, l'oeuvre vedette de leur vente aux enchères de mercredi, Figures schématiques, de Paul-Émile Borduas, une toile estimée à entre 3 et 5 millions.