Une bouteille de vin déformée, une passoire à tête de femme ou le fin squelette d'un poisson incrusté dans une céramique... Les liens intimes entre l'oeuvre de Pablo Picasso et la gastronomie sont au centre d'une exposition à Barcelone, dans le musée qui porte son nom.

La relation entre la cuisine et l'oeuvre du peintre, dessinateur et sculpteur espagnol (1881-1973) «est quelque chose d'évident qui n'avait jamais été abordé», a assuré cette semaine à l'AFP le directeur du Musée Picasso de Barcelone, Emmanuel Guigon, en présentant l'exposition La cuisine de Picasso».

Une cuisine omniprésente «dans ses oeuvres, dit-il, et dans tous les formats: peinture, sculpture, céramique et même poésie».

L'exposition dans la capitale catalane - où l'artiste vécut régulièrement de 1895 à 1904 - est un genre de menu dégustation: plus de 180 oeuvres réparties dans dix salles, toutes centrées sur cette thématique.

En guise de dessert, une salle imaginée par «le Picasso de la cuisine» espagnole, le célébrissime chef Ferran Adrià, qui profite de l'événement pour interroger le visiteur - «qu'est-ce que cuisiner?» - et faire réfléchir aux liens entre créativité artistique et culinaire.

«Un rêve» pour Ferran Adrià

Un honneur pour le fondateur de l'emblématique restaurant El Bulli, fermé en 2011 sur la Costa brava, qui reconnaît que ses «deux références créatives dans le monde étaient Picasso et (le Néerlandais) Johan Cruyff», un des plus grands footballeurs de l'histoire, décédé en 2016 et qui fut joueur et entraîneur du FC Barcelone.

«Pouvoir être ici, c'est un rêve, il y a vingt ans, cela aurait été impossible», a-t-il affirmé. «Mais aujourd'hui dans l'art, il y a des gens qui s'intéressent à ce que fait notre génération de cuisiniers qui veut être à l'avant-garde», ajoute Adrià, 56 ans.

«Dans 100 ans, mes plats ne pourront être montrés dans aucun musée», plaisante-t-il, mais «comprendre son système de création et son fonctionnement nous sert à l'analyser et le comparer au nôtre».

L'exposition, qui a ouvert ses portes jeudi et sera visible jusqu'au 30 septembre, «n'est pas un catalogue d'aliments (...), c'est une métaphore de la création», de la façon dont un objet quotidien se transforme en art ou en souvenir, explique le commissaire de l'exposition, Androula Michel.

Et c'est ainsi qu'un poulet rôti ou des poissons se transforment en protagonistes défigurés de natures mortes cubistes. Et que deux poireaux près d'un crâne témoignent des pénuries dans le Paris de la Seconde Guerre mondiale.

Des oeuvres sont sorties pour l'occasion d'une trentaine de musées et collections particulières, dont certaines très connues, comme les sculptures Le verre d'absinthe (1914) et Tête de femme (1929-1930) ou les peintures Le déjeuner sur l'herbe d'après Manet (1960) et Le restaurant (1914).

Apparaît aussi la céramique Tauromachie et squelette de poisson (1957), dans laquelle l'artiste incrusta le squelette d'une sole, accompagnée d'une photographie de David Douglas Duncan montrant Picasso en train de déguster ce même poisson à Cannes.