L'artiste Fred Laforge est de retour. Et en grand. Il présente à la Galerie d'art d'Outremont Comment ne pas devenir cynique, son premier solo à Montréal depuis quatre ans. Une exposition dense avec 31 oeuvres d'art. Une production éclatée et inspirante.

Fred Laforge avait présenté ses corps atypiques au centre d'artistes autogéré Circa en 2014, à l'époque de ses études doctorales à l'Université du Québec à Montréal. Après s'être inspiré de la diversité corporelle et des sujets identitaires pendant des années, l'artiste en est sorti, tout en conservant le désir d'évoquer les rapports de force qui gouvernent les relations humaines.

Laforge est de retour avec une série d'oeuvres qui reflètent également son attrait pour la relecture de repères marquants de l'histoire de l'art, que ce soit des peintures baroques ou des références de la Grèce antique. Sur le plan formel, ses nouvelles créations sont variées. Le fil conducteur est encore et toujours relié à une transgression de la norme, et le fort potentiel suggestif de ses pièces forgées avec soin demeure.

On retrouve son grand talent de dessinateur, une habileté qu'il exprime à main levée sur tablette graphique. Un dessin numérique qui lui prend plus de temps, mais qui lui permet de réutiliser sa création, en procédant notamment à des collages numériques.

Métissages

L'exposition débute avec Vénus grecque africaine, le duchampien Balai lance autochtone et Vase Ming bonbonne, trois hybrides qui suscitent l'étonnement.

Comme pour la colonne grecque avec un totem placé au-dessus qu'il avait créée à Circa, il s'agit d'expressions du dialogue que Fred Laforge aime établir en métissant styles, fonctions et époques. Pas un métissage dans l'idée d'assembler une pièce hétéroclite, mais pour évoquer une ouverture aux autres cultures, avec l'envie d'échapper à l'ethnocentrisme, une envie d'universel. 

Quel hasard: le même esprit émerge de l'exposition D'Afrique aux Amériques: Picasso face-à-face, d'hier à aujourd'hui, qui débutera samedi au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM).

La démarche intellectuelle de Fred Laforge se retrouve dans Élisabeth II corpsepaint, un portrait de la reine dont le visage est recouvert d'un maquillage black metal - une association contre nature mêlant humour et confrontation de perceptions du monde.

Elle se retrouve aussi dans cette série où il associe portraits et yeux de personnages de bande dessinée: Sophocle Félix le chatChuck Close Homer Simpson (où les yeux d'Homer deviennent les lunettes de l'artiste américain), ou encore Margaret Garfield.

Sculptures

La production de Laforge comprend des sculptures illustrant son imagination débordante. Sa Colonne écrasée découle de l'oeuvre exposée à Circa. Il en avait conservé le moule en silicone coulé sous chape. La nouvelle sculpture est, à dessein, créée dans un matériau pauvre qui contraste avec la tradition d'élégance et de noblesse des colonnes grecques en marbre.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Vénus grecque africaine, 2016, Fred Laforge, encre sur papier (tablette graphique), 23 cm x 40 cm

Fred Laforge présente deux versions en céramique d'un moulage de la tête de Stanley Février, dont une avec un nez «caucasien» qui tranche évidemment avec les traits de l'artiste montréalais d'origine haïtienne. Deux oeuvres magnifiques, bien réalisées, à l'apparence de bronzes.

Une des pièces maîtresses de l'expo, Boîte de transport avec jambes, est une caisse en bois, «portée» par un être humain dont on ne voit que les baskets et une partie des jambes, recouvertes d'un pantalon. Un caisson qui déambule! Théâtral concept que l'Angolais Pedro Pires a expérimenté avec son oeuvre Kaluanda (des jerricans d'essence assemblés et portés sur deux jambes), retenue pour l'exposition susmentionnée du MBAM.

Un peu de politique

Deux autres oeuvres mettent en lumière l'originalité du nouveau corpus de Laforge: Rupee brodé, une oeuvre tissée par la tante de l'artiste, Céline Bouchard, à partir d'un dessin représentant un billet de banque indien de l'époque coloniale; et Louis Riel, un faux billet de 10 $ à l'effigie du chef métis qui remplace ainsi John A. Macdonald. Une allusion à la déclaration de la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, qui, au début de 2016, avait encensé l'homme politique canadien qui a été premier ministre de 1867 à 1873, puis de 1878 à 1891, et à qui on doit l'écrasement de la révolte des Métis et la pendaison de Riel.

«C'est mon oeuvre la plus littérale et la plus politique de l'expo, dit Fred Laforge. Quand Mélanie Joly a fait cette déclaration, j'ai sauté au plafond et défoncé les trois étages de ma maison! La politique est toujours présente dans mon travail.» 

______________________________________________________________

À la Galerie d'art d'Outremont (41, avenue Saint-Just) jusqu'au 27 mai.

À noter que Fred Laforge fait aussi partie d'une exposition collective présentée à la maison de la culture Frontenac jusqu'au 3 juin, dans le cadre des 30 ans du Circa.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Élisabeth II corpsepaint, 2016, Fred Laforge, encre sur papier (tablette graphique), 43 cm x 60 cm