Après avoir élaboré des expositions sur les communautés irlandaise et écossaise de Montréal, le musée McCord propose Shalom Montréal, axée sur la contribution des Juifs à la vie sociale de la cité depuis un siècle.

Première expo d'envergure sur les Juifs montréalais, Shalom Montréal - Histoires et contributions de la communauté juive illustre la spécificité contemporaine de Montréal de savoir célébrer les atouts de son caractère multiculturel.

Cette nouvelle exposition du musée McCord retrace le rôle des Juifs dans le développement de Montréal, que ce soit dans le domaine des arts et de l'architecture, des droits de la personne, des sciences, du développement immobilier, de la philanthropie, du commerce ou de la restauration. Des secteurs auxquels cette communauté diversifiée a apporté une touche remarquable depuis le début du XXe siècle.

Des signatures réputées

Que ce soit avec les magasins Steinberg, le restaurant Schwartz's, les textes de Leonard Cohen, les histoires de Mordecai Richler, Habitat 67 de Moshe Safdie ou le soutien de Phyllis Lambert au patrimoine architectural, la vie des Montréalais est jalonnée d'entreprises et de personnalités juives qui font désormais partie de l'ADN de la ville.

Mais comment cette empreinte s'est-elle greffée, dans le temps, à l'urbanité montréalaise? Le défi de cette exposition était de l'expliquer. Elle y parvient assez bien, avec un nombre limité d'artefacts et grâce à de nombreuses installations audiovisuelles.

En introduction sont fournies quelques infos sur l'histoire des Juifs, leurs premiers pas au bord du Saint-Laurent, les vagues de migration successives au Québec d'abord les ashkénazes des pays d'Europe de l'Est puis, après la création d'Israël en 1948, les sépharades du Maghreb.

On évoque l'érection de la première synagogue, en 1768, par des marchands européens. Une synagogue, la «Spanish and Portuguese», qui célèbre ses 250 ans et organise pour l'occasion une exposition historique dans ses locaux de la rue Saint-Kevin, dans le quartier Côte-des-Neiges.

Les drames

Un espace rappelle les drames vécus par les Juifs dans l'histoire: les exodes, le génocide nazi, l'antisémitisme. Avec une scénographie forte: suspendues sur des fils, des couvertures de sombre mémoire servent d'écrans pour la projection d'images d'archives.

Plus loin, des exemplaires de publications québécoises du XXe siècle, telles que Le Goglu, rappellent que les Juifs d'ici ont fait face à bien des discriminations, pour ne pas dire du racisme, de la part de médias, d'une partie du clergé catholique, du milieu hospitalier ou même de l'État. Le Canada fut le pays allié qui a accueilli le moins d'immigrants juifs entre 1933 et 1945, soit seulement 8000.

Les bienfaiteurs

Mais l'adversité a forgé la détermination des Juifs à s'intégrer avec ouverture à la métropole, en innovant pour les bienfaits du plus grand nombre. L'exposition rappelle les actions de la syndicaliste et féministe Léa Roback ou du Dr Henry Morgentaler, de l'Hôpital général juif (ouvert en 1934) et de l'organisme Jeunesse au soleil, qui apporte encore aujourd'hui une aide alimentaire et matérielle aux familles démunies.

Cet organisme découle de la création, en 1954, d'un journal de quartier, The Clark Street Sun, par deux jeunes juifs, Earl De La Perralle et Sid Stevens. Un journal dont les actions et les profits s'incarneront dans Jeunesse au soleil. Il faut regarder la vidéo où les deux fondateurs, aujourd'hui septuagénaires, parlent de leur initiative qui germa alors qu'ils n'avaient que 9 et 13 ans. 

Ils consacrent aujourd'hui leur temps au projet de racheter l'édifice de la rue Saint-Urbain, où Jeunesse au soleil est logé depuis 1981, afin de pérenniser son action humanitaire.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Que ce soit avec les magasins Steinberg, le restaurant Schwartz's, les textes de Leonard Cohen, les histoires de Mordecai Richler ou Habitat 67, la vie des Montréalais est jalonnée d'entreprises et de personnalités juives qui font désormais partie de l'ADN de la ville.

Santé et justice sociale

Dans la section Prendre soin ensemble, on prend la mesure du rôle qu'ont joué des organisations juives pour le bien commun. Un hommage est rendu au Dr Mark Wainberg, sommité mondiale de la recherche sur le sida, codécouvreur de la molécule antivirale lamivudine (3TC) en 1989, mort accidentellement l'an dernier.

Les luttes des Juifs montréalais pour obtenir plus de justice sociale sont également traitées. Lutte contre le racisme en éducation, pour la libération de la femme et les revendications salariales : les Juifs ont joué un rôle marquant dans la société montréalaise avec un sens de l'aide et un altruisme particulièrement aigus, comme l'ont montré de nombreux cas de philanthropie.

L'exposition aborde le rôle des juifs dans le développement de la mode, les magasins de vêtements (Le Château, Parachute), les restaurants (Wilensky ou Moishes) ou les fabricants des renommés bagels, notamment Fairmount Bagel, ouvert en 1919 par Isadore Shalfman.

Arts et culture

La zone consacrée à la culture rend compte de la contribution des peintres juifs à la vie artistique (Harry Mayerovitch, Moe Reinblatt, Jack Beder, etc.), celle des écrivains, des chanteurs, des musiciens et des concepteurs tels qu'Émile Berliner qui créa le gramophone au début du XXe siècle.

À la fin de l'exposition, 14 jeunes juifs, dont l'humoriste Neev et la docteure Sarah Cohen-Fournier, parlent de leur appréciation du fait d'être juif aujourd'hui à Montréal. Le bien-être qu'ils dégagent témoigne du plaisir de vivre dans la ville métissée serré.

L'exposition n'est pas exhaustive, a prévenu Suzanne Sauvage, présidente du musée McCord. Il manque de nombreuses contributions de juifs montréalais. «On devait faire des choix», dit-elle. Mais cette première exposition sur la communauté juive de Montréal permettra à bien des citoyens notamment aux plus jeunes et aux touristes de prendre le pouls d'un des traits sociologiques les plus marquants de la métropole québécoise.

L'exposition est accompagnée de projections de films, de conférences, de concerts et d'un «5 à 9» consacré aux saveurs et aux talents juifs, le 24 mai au musée.

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Au musée McCord (690, rue Sherbrooke Ouest, Montréal) jusqu'au 11 novembre.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Un espace rend hommage aux personnalités qui ont marqué l'architecture et le patrimoine montréalais telles que Moshe Safdie, Phyllis Lambert, Max Kalman, Max Wolfe Roth et Julia Gersovitz.