À 25 minutes du centre-ville de Los Angeles vient d'ouvrir le premier musée consacré aux égoportraits en Amérique. La Presse a visité récemment cette ludique exposition interactive sur un phénomène mondial à la fois dérangeant et incontournable.

Au début était l'image. Enfin, pas vraiment au début, mais il y a très, très longtemps, au moment où l'homme a commencé à esquisser des dessins sur les murs de sa caverne. Il n'en fallait pas plus pour que s'empare de lui le brûlant désir de se représenter dans sa superbe sur une surface quelconque: murs, toiles, négatifs et multiples écrans actuels, ces nouveaux miroirs de notre vanité.

Il y a environ trois millénaires, les Grecs ont inventé la figure mythologique de Narcisse. Depuis, ce dernier revient périodiquement en arts visuels illustrer la fascination de l'homme (et de la femme) pour sa propre image. Tel un vieux péché d'orgueil.

Voilà, en gros, l'introduction qu'on nous sert à l'entrée du Museum of Selfies, qui a ouvert au début du mois à Glendale, en Californie. On peut y lire des panneaux retraçant brièvement la chronologie des grandes évolutions techniques qui ont changé l'art du portrait dans l'histoire de l'art. Du principe originel de la camera obscura à l'appareil photo numérique en passant par la chambre noire.

Plus loin, une section de la galerie reproduit la modeste chambre de Vincent Van Gogh, là où le peintre rêvait aux cieux étoilés qu'il allait immortaliser. Ce peintre est bien sûr lié aux fameux autoportraits (dont celui qui montre Van Gogh avec son pansement autour de la tête, cachant son oreille meurtrie).



Avec les Jan Van Eyck, Francis Bacon, Picasso et David Hockney, Van Gogh fait partie de la longue liste des maîtres qui ont immortalisé leur visage sur des canevas.

On apprend aussi qu'en 1839, l'Américain Robert Cornelius a été le premier photographe à se prendre en photo avec un daguerréotype. Il est l'heureux pionnier de l'égoportrait. Ah oui! Pour sa légendaire photo de lui-même, Cornelius a dû se tenir immobile pendant près de 15 minutes! Une attente qui découragerait le plus fervent amateur de selfies.

Visite avec perche

Le musée de Glendale aborde d'ailleurs les dérives du selfie et notre dépendance croissante aux écrans, surtout les petits, à l'ère du téléphone intelligent.

En Russie seulement, il y aurait eu 12 morts et une centaine de blessés liés à la pratique de l'égoportrait! Pour réaliser le meilleur selfie possible, des téméraires n'hésitent pas à se mettre dans des situations dangereuses (par exemple, en se photographiant sur un chemin de fer devant un train qui arrive!). Le ministère de l'Intérieur de Russie a même lancé une campagne de prévention sur la prise sécuritaire d'égoportraits, apprend-on dans l'exposition.

Photo Robyn Beck, AFP

Le musée n'est pas immense: on en fait le tour en moins d'une heure. Avec le billet d'entrée, on nous fournit l'ineffable perche qui donne de l'urticaire aux amateurs d'art des musées plus officiels. Mais pas ici. Un guide nous encourage même à prendre le plus de photos possible, dans tous les angles imaginables.

On se prend en photo dans des décors ludiques de carton-pâte, dont une salle kaléidoscopique aux murs zébrés où l'on peut, après avoir enlevé ses souliers, se laisser aller! On nous invite à renverser des reproductions en toc du David de Michel-Ange, question de prouver que là où le selfie est roi, les oeuvres le sont moins.

Bien sûr, un détour dans ce petit musée ne convaincra pas les sceptiques de la mise en scène de soi, ceux qui jugent le phénomène vide et narcissique. Par contre, cela peut faire réfléchir sur la relation entre l'art et le public. Qu'on soit pour ou contre l'égoportrait, l'avenir de l'art sera immersif ou ne sera pas. Parole de Narcisse! 

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The Museum of Selfies (1211 North Brand Boulevard, Glendale, Californie).

Consultez le site du muséethemuseumofselfies.com

photo Robyn Beck, agence France-Presse