Si le Musée des beaux-arts du Canada est bien décidé à acquérir seul la toile de Jacques-Louis David que met en vente la Fabrique de Notre-Dame-de-Québec, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée de la civilisation de Québec n'ont pas jeté l'éponge. La demande de la ministre de la Culture du Québec, Marie Montpetit, d'évaluer la peinture en vue d'un classement patrimonial leur donne beaucoup d'espoir.

Hier après-midi, le directeur du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), Marc Mayer, croyait bien pouvoir bientôt accrocher sur les cimaises du musée national, à Ottawa, le Saint Jérôme entendant la trompette du Jugement dernier, peint en 1779 par Jacques-Louis David et vendu pour 6,3 millions (5 millions US) par la Fabrique Notre-Dame de Québec. Et ce, après avoir mis en vente l'un des deux tableaux de Marc Chagall du musée national canadien, La tour Eiffel. La vente aura lieu chez Christie's, à New York, le 15 mai.

Mais au Québec, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et le Musée de la civilisation de Québec (MCQ) ne l'entendent pas de cette oreille. Prenant acte du fait que le MBAC refuse d'envisager un partenariat entre plusieurs musées pour l'achat de l'oeuvre, les deux institutions québécoises se retroussent les manches pour parvenir à amasser les 6,3 millions nécessaires d'ici le 11 juin, fortes du droit de premier refus consenti jadis au MCQ par la Fabrique pour ses bonnes grâces vis-à-vis du tableau.

«Le fait que deux musées, l'un de Québec, l'autre de Montréal, travaillent ensemble dans un tel dossier, c'est une approche un peu inédite et en même temps très symbolique», a dit Nathalie Bondil, directrice du MBAM, à La Presse

«Ensemble, on a plus de chances de convaincre le public, des donateurs et des gouvernements plutôt qu'en travaillant les uns contre les autres. On espère que ça fonctionnera.»

L'intervention de la ministre de la Culture du Québec, Marie Montpetit, sur Twitter hier à l'heure du midi, annonçant qu'elle avait demandé aux services de son ministère d'évaluer l'intérêt «évident», écrit-elle, de la toile de David «en vue d'un classement patrimonial», fait plaisir à Nathalie Bondil.

En effet, un classement patrimonial d'un bien au Québec «assure la protection du bien et favorise sa transmission aux générations futures», selon le site du Ministère. Cela peut donc empêcher l'oeuvre d'art de quitter le territoire du Québec sans l'autorisation de la ministre, nous a d'ailleurs fait savoir Mme Montpetit, hier soir. Mais ce classement patrimonial sera-t-il accordé à la toile de David? Et avant le 11 juin? Des incertitudes demeurent donc encore dans ce dossier.

«Un lien historique» avec le Québec

Par ailleurs, si Marc Mayer se dit surpris que le MCQ veuille acheter un tableau que, dit-il, le musée de Québec «n'a pas la vocation de présenter», n'ayant pas de collection d'art français comme le MBAC, Nathalie Bondil croit que la collaboration entre le MBAM et le MCQ est logique.

«Il y a un lien historique entre cette oeuvre et le Québec, dit-elle. C'est la raison pour laquelle c'est très intéressant que le MCQ, voué à l'histoire et à la civilisation, s'associe dans ce cas avec le MBAM, qui s'intéresse à l'histoire de l'art. Et il est logique que le David rejoigne le reste de la collection des soeurs Cramail donnée au Séminaire de Québec. Des soeurs françaises venues dans les années 30 et qui ont défendu la culture française à Québec. La présence de ce Saint Jérôme à Québec est donc très importante.»

La directrice du Musée des beaux-arts de Montréal est toujours ouverte à travailler avec le MBAC, à qui elle a écrit la semaine dernière. «On fait toujours mieux de travailler ensemble plutôt que de surenchérir les uns contre les autres», dit-elle. 

«Ça n'a aucun sens. Nos missions sont publiques. On ne peut pas agir comme des marchands d'art privés. Ce n'est pas notre rôle.»

Si le tableau de Jacques-Louis David quitte le Québec pour se rendre à Ottawa, Marc Mayer rappelle que le Musée des beaux-arts du Canada est «à cinq minutes à pied de la quatrième plus grande ville du Québec». «Le Saint Jérôme ne s'en irait pas à Kuala Lumpur», dit-il.

Nathalie Bondil espère tout de même que l'oeuvre restera au Québec, mais elle demeure réaliste. Les fonds du MBAM et du MCQ ne sont pas ceux du musée national canadien. Le MBAM dispose d'un fonds d'acquisition privé de 800 000 $ par année et fonctionne surtout grâce à des dons, alors qu'à Ottawa, le MBAC a un budget d'acquisition annuel de 8 millions. Un achat de l'oeuvre par le MBAM et le MCQ passera par une grosse mobilisation au Québec. «On fera donc tout pour garder l'oeuvre au Québec, dit Mme Bondil. La Fabrique le souhaite, mais une chose est sûre, on ne vendra pas d'oeuvres d'art pour financer cet achat.»

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

La ministre de la Culture du Québec, Marie Montpetit, a annoncé hier sur Twitter qu'elle avait demandé aux services de son ministère d'évaluer l'intérêt de la toile de Jacques-Loui David «en vue d'un classement patrimonial»