Les créateurs dynamiques foisonnent dans le milieu des arts visuels québécois. Dans le cadre de la série mensuelle « Les précurseurs », La Presse vous présente aujourd'hui Marc Mayer, qui quittera bientôt la direction du Musée des beaux-arts du Canada.

Aventurier dans sa jeunesse, féministe avant l'heure, adorateur d'art français et de culture saxonne, soucieux de faire briller l'art autochtone au sein de la collection nationale, le directeur du Musée des beaux-arts du Canada, Marc Mayer, tirera sa révérence en janvier prochain. Il a rencontré La Presse et évoqué son fructueux parcours professionnel.

Marc Mayer a vu le jour en 1956 à Sudbury au sein d'une famille aux origines canadienne et américaine. Si son père a fait du théâtre et tenté sa chance à Hollywood, c'est à son oncle Réo Gauthier, peintre amateur, qu'il doit son intérêt pour les beaux-arts. «Il vendait des vêtements aux ouvriers de l'industrie minière et, au sous-sol, il avait une galerie d'art», raconte-t-il, en entretien dans son bureau avec vue sur la rivière des Outaouais.

L'art ne s'est pas glissé tout de suite dans la vie du jeune Marc Mayer qui n'aimait pas beaucoup l'école et adorait bourlinguer. Il a d'abord beaucoup voyagé en Europe avant d'aller étudier l'allemand à Québec, puis l'histoire de l'Allemagne à l'Université McGill. «C'est à McGill que j'ai réalisé que j'aimais l'histoire de l'art et le baroque», dit-il.

New York

Après d'autres séjours en Europe, il s'installe à New York, travaille pour la revue ARTnews puis devient directeur adjoint au 49th Parallel Centre for Contemporary Canadian Art, en 1986. «Là, j'ai rencontré tous les Canadiens, du gouverneur général jusqu'aux artistes, notamment Jeff Wall, Ian Wallace et Rodney Graham.»

Grâce à ses contacts, il retraverse l'Atlantique en 1990 pour devenir responsable des arts visuels à l'ambassade du Canada à Paris. Quatre ans plus tard, retour en Amérique, où il devient conservateur au musée Albright-Knox, à Buffalo, avant de diriger le centre d'art Power Plant, à Toronto, de 1998 à 2001.

Lors d'une conférence à Houston, en 2001, le directeur du Brooklyn Museum, Arnold Lehman, le remarque. Marc Mayer entre en poste comme directeur adjoint du musée new-yorkais cinq jours avant le 11-Septembre.

Hommage

Avec Arnold Lehman, M. Mayer a conçu le Centre d'art féministe Elizabeth A. Sackler où est exposé le Dinner Party de Judy Chicago.

«Marc Mayer a été un atout majeur, dit aujourd'hui M. Lehman, qui a dirigé le Brooklyn Museum de 1997 à 2015. Parmi les expositions durant son mandat, on retiendra son implication majeure dans la rétrospective de grande envergure consacrée à Jean-Michel Basquiat. La retraite de Marc sera une grande perte pour la communauté muséale.»

En 2004, Marc Mayer désire de nouveau travailler en français. Il accepte la direction du Musée d'art contemporain de Montréal.

«Je ne pouvais pas refuser, dit-il. C'est à Montréal que j'étais tombé fou amoureux de l'art contemporain! J'avais pleuré en visitant une expo sur Paul-Émile Borduas!»

Arrivée à Ottawa

Après Montréal et la désillusion du Silo n8 (qui ne deviendra jamais un lieu muséal), il est nommé en 2009 au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), le musée le plus riche du pays, avec 160 000 objets d'art et un budget de 50 millions, «dont 82 % proviennent du fédéral».

Sous sa direction, l'Institut canadien de la photographie a pris de l'envergure au coeur du musée et des expos retentissantes d'art français ont été présentées, telles que Van GoghLouise Viger Lebrun ou encore Gustave Doré. Sa mise en relief inédite de l'art autochtone aura marqué les esprits, notamment son incorporation au sein d'une présentation élargie de la collection nationale et, dès 2013, l'organisation récurrente d'une expo d'art autochtone mondial, qui reviendra l'an prochain.

Marc Mayer se félicite que le mécène Michael J. Audain ait permis au musée, grâce à un don majeur, de se doter d'un département d'art autochtone.

«Pour que l'art autochtone représenté soit à la fois canadien et mondial, dit M. Mayer. Comme avec les autres départements du musée. Et pour que la fierté soit partagée par les autochtones. Pour moi, le musée doit refléter le pays pour que tous les Canadiens s'y reconnaissent.»

Acquisitions

Refléter le pays. Voilà une préoccupation qui a habité Marc Mayer durant tout son mandat. Et qui l'a incité à acquérir de l'art français pour que le musée national reflète un peu plus qu'auparavant les origines françaises du Canada.

Marc Mayer a aussi attiré de nombreux dons, notamment 197 oeuvres contemporaines du collectionneur Bob Rennie, en 2017. «On s'est souvent demandé si ce don pour célébrer les 150 ans du Canada, on le faisait pour le Canada ou si c'était pour confier les oeuvres à la bienveillante intendance de Marc!», lance avec humour M. Rennie.

Seul bémol de la période Marc Mayer, la stagnation de la fréquentation du musée, soit environ 400 000 visiteurs par an. M. Mayer estime que cela est dû à la démographie outaouaise limitée et surtout au mandat du musée. «Le MBAC n'est pas là pour faire du divertissement ou pour "enfirouaper" le public afin qu'il vienne. On présente de l'art comme le fait la National Gallery à Londres.»

Photo Lawrence Cook, fournie par le MBAC

Pendant ses 10 ans au MBAC, Mac Mayer aura accru la collection d'art français du musée, augmenté celle d'art contemporain international, intégré l'Institut canadien de photographie et mis en exergue l'art autochtone nord-américain et mondial.

Avenir

Le contrat de Marc Mayer prendra fin le 19 janvier 2019. «Dix ans, ç'aura été un très bon mandat, dit-il. J'ai 61 ans. C'est le temps de passer le flambeau. J'ai réalisé tout ce que j'ai voulu. Je suis fier de nos acquisitions, notamment les oeuvres d'art français et l'art contemporain.»

M. Mayer a-t-il des projets? «J'ai pensé redevenir serveur, dit-il en riant, car j'ai beaucoup aimé ça dans ma jeunesse! Sans plaisanter, je compte écrire sur l'art, bien sûr. Je peux enseigner ou travailler avec d'autres musées...»

Des personnalités des arts visuels qui lui rendent hommage

> Stephan Jost, PDG du Musée des beaux-arts de l'Ontario (AGO)

«Marc Mayer n'est pas seulement un dirigeant éminent du Musée des beaux-arts du Canada, il a aussi une stature internationale dans le domaine de la muséologie. Apprendre est sa passion autant que de faire partager ses connaissances.»

> Gaëtane Verna, directrice de Power Plant, à Toronto

«Marc est un directeur de musée ayant la capacité de mener à bien les projets qu'il élabore, sachant motiver ses équipes, les donateurs et les collectionneurs. Grâce à ses expériences, il a su bâtir une collection de calibre national et international.»

> Rob Sobey, président de la Fondation Sobey pour les arts

«Depuis que je le connais, Marc a démontré un engagement sans faille en faveur de l'art canadien. Combiné à ses connaissances et à son flair, cela a permis de faire du prix Sobey une réalisation que nous sommes très fiers de perpétuer.»

> Mark O'Neill, PDG du Musée canadien de l'histoire, à Gatineau

«Marc a réussi à établir un lien entre le Musée des beaux-arts du Canada et la collectivité grâce à une approche novatrice. Les racines franco-ontariennes de Marc, conjuguées à son travail aux États-Unis, en France, à Montréal, à Toronto et dans la capitale nationale, lui ont donné une perspective canadienne et mondiale de l'art unique en son genre.»

Photo fournie par le MBAC

Tunique de chasse, v. 1840, artiste naskapie inconnu, peau de caribou, peinture, fil, laine et perles de verre. Mesures globales sur le mannequin: 95 cm x 80 cm x 50 cm. Achetée en 2014. Musée des beaux‑arts du Canada, Ottawa.