La Fondation Molinari accueille chaque année un artiste en résidence pendant deux mois pour le confronter à l'oeuvre de Molinari. Le choix s'est porté cette année sur l'artiste créateur d'installations Serge Murphy, qui a choisi pour l'occasion de s'adjoindre le peintre abstrait Jean-François Lauda. Une association pertinente pour un exercice périlleux...

Après avoir obtenu carte blanche de la part de Gilles Daigneault, le directeur de la Fondation Guido Molinari, Serge Murphy a fait part de sa volonté de travailler en parallèle avec un peintre. Par égard pour Molinari, dit-il, et pour évoquer la peinture actuelle.

«Comme Molinari témoignait de son époque, je trouvais que Jean-François Lauda convenait parfaitement, d'autant plus qu'en peinture, c'est ce qui se fait de plus intéressant aujourd'hui à Montréal», dit Serge Murphy. 

Les univers un peu bruts de Murphy et Lauda s'étaient déjà croisés, notamment en 2012, lors du 30e Symposium d'art contemporain de Baie-Saint-Paul, où Serge Murphy était chargé du commissariat. 

L'artiste sexagénaire apprécie particulièrement le style minimaliste et les effets de superposition de Jean-François Lauda. Il a d'ailleurs adopté une démarche analogue d'accumulation dans ses installations multiformes.

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Mais comment cette affinité s'est-elle déclinée en s'inspirant de Guido Molinari? Disons que le résultat surprend. L'improvisation à la base du geste artistique de Murphy et la dimension expérimentale de Lauda n'ont, a priori, que peu de liens avec la géométrie systématique du plasticien mort en 2004.

« Je regardais le catalogue de Molinari et je me disais: "Mais qu'est-ce que je vais faire?" Ce n'était pas évident. Je me suis dit qu'il fallait trouver quelque chose de simple.» 

En s'inspirant de la paisible acrylique Sériel vert-orange, peinte par Molinari en 1968, Serge Murphy a réalisé, dans l'espace principal de la Fondation, l'installation Le carnaval de tous les jours, avec des socles dont les teintes sont celles du tableau. Et ce, même si le lauréat du prix Ozias-Leduc 2007 n'aime guère le vert, le jaune et l'orange de cette peinture!

Sur les socles, Murphy a placé des arrangements sculpturaux récents et d'autres qui trouvent ici une nouvelle jeunesse, dont des assemblages déjà présentés chez René Blouin, le tout constituant un ensemble de bric et de broc, fantaisiste, curieux, voire surréaliste.

Ruine achevée

En référence à la verticalité des célèbres bandes colorées de Molinari, Serge Murphy a créé tout près Ruine achevée, un amoncellement de longs morceaux de bois, d'objets récupérés dans son atelier et de cartons utilisés quand il a peint ses socles. Un salmigondis architectural osé mais pas déplaisant pour l'oeil.

De son côté, Jean-François Lauda a laissé agir son instinct pour produire des tableaux, notamment une série de 72 aquarelles disposées en mosaïque sur un mur. Cette géométrie est la seule concession qu'il a faite au style méthodique de Molinari. Lauda a en effet préféré une approche plus organique que cartésienne, plus conforme à son langage. Ces aquarelles sont des micro-univers de couleurs et de formes, de symboles et de taches, dans lesquels on retrouve des références personnelles et des jeux graphiques et picturaux.

À l'étage, une aquarelle, Sans titre no 101, de Serge Murphy, cite de nouveau les trois couleurs de Sériel vert-orange, qui sont encore une fois référencées dans Le monde plate-forme, des assemblages créés sur le sol avec des objets récupérés. Par exemple, une planche de bois posée sur un support sur lequel deux «monnaies du pape» en plâtre sont reliées par un fil noir. Ou encore des boulettes de papier rose posées sur un morceau de polystyrène noir. Une démesure anarchique empreinte de dérision.

Mais où est Molinari? Réponse: dans quelques morceaux de toile aux couleurs de Sériel vert-orange, suspendus au milieu des assemblages.

Les mêmes couleurs sont associées pour un montage mural plus sobre, La voix des voiles, avec des monnaies du pape «encadrées» cette fois-ci pour suggérer les châssis de Molinari. 

Nonobstant l'inventivité expressive des deux artistes, l'exposition Joueurs: Serge Murphy et Jean-François Lauda ne constitue pas un dialogue aussi ludique qu'espéré avec Molinari. Sans le trahir, elle ne fait qu'effleurer son art et ne nous convainc pas que l'exercice d'imprégnation avec le maître de l'abstraction géométrique soit gagnant à tout coup. 

À tout le moins, ce déploiement ad hoc en forme de clin d'oeil à Molinari permet d'apprécier les considérations picturales éclairées de Jean-François Lauda et la bohème esthétique d'un Serge Murphy jamais en panne de vertiges.

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À la Fondation Guido Molinari (3290, rue Sainte-Catherine Est) jusqu'au 22 avril.