Alice est au bord du pays des Merveilles, la mère de Virginia Woolf affiche une éclatante et songeuse beauté, et Charles Darwin marmonne dans sa barbe: la National Portrait Gallery à Londres expose une rare sélection de photos des pionniers de l'époque victorienne.

Lewis Carroll n'a pas fait que des maths et un livre pour enfants: il a aussi beaucoup photographié, et notamment la jeune Alice Liddell, avec ou sans ses frère et soeurs, qui l'a inspiré pour son roman fantastique.

Il connaissait et fréquentait les trois autres «géants» de l'époque de la reine Victoria qui se sont emparés de la toute nouvelle technique pour faire de l'art et de sublimes portraits, et se sont mutuellement inspirés: Oscar Rejlander, leur mentor à tous, un Suédois au passé mystérieux, Julia Cameron et Clementina Hawarden, deux dames de la bonne société.

«C'est la première fois qu'il y a le développement d'un style, c'est vraiment la naissance d'un art de la photo», souligne Phillip Prodger, commissaire de l'exposition qui réunit pour la première fois les quatre artistes et montre des oeuvres jamais exposées jusqu'ici. «Ils avançaient en territoire inexploré», souligne-t-il.

Tradition royale

Des enfants - symboles de pureté et d'innocence à l'époque -, des beautés mystérieuses et évanescentes, comme Julia Jackson, mère de l'écrivaine Virginia Woolf, portraiturée par Julia Cameron, côtoient des hommes célèbres, en particulier le père de la théorie de l'évolution Charles Darwin et sa longue barbe blanche.

Darwin mit même à contribution le nouvel art au profit de la science et du livre qu'il préparait sur les émotions des humains et des animaux, en commandant à Rejlander une série d'autoportraits dans lesquels il exprime diverses émotions.

«Quand on parle de photographies de l'époque victorienne, on pense à des portraits raides et engoncés de femmes en crinolines et d'hommes en chapeau melon. Mais les géants victoriens sont tout autre chose», relève Phillip Prodger, chef du département photo du musée. Ils «ont changé l'idée de la photographie et son pouvoir d'expression», relève-t-il.

Car les grands photographes de l'époque victorienne, tout comme leurs collègues aujourd'hui, saisissent la profondeur psychologique du sujet. «Ils nous font entrevoir leur caractère et leur identité», relève Prodger.

La photographie était un art très prisé de la reine Victoria et son mari Albert. La tradition royale s'est perpétuée puisque Kate, la duchesse de Cambridge, a choisi et commenté certaines photos et visité les lieux la veille de l'ouverture de l'exposition, qui se tient du 1er mars au 20 mai.