Au Pôle de Gaspé, dans le Mile End, le centre d'art Dazibao et le Centre Clark accueillent ces jours-ci quatre expos solos aux univers singuliers. Nicolas Fleming, Maryse Goudreau, Kapwani Kiwanga et Myriam Yates illustrent le large spectre d'expression de l'art contemporain canadien au moyen de la vidéo et de l'installation.

Anthropologue et tête chercheuse, Kapwani Kiwanga est une artiste canadienne reconnue hors de nos frontières. L'ex-étudiante de McGill et des Beaux-Arts de Paris a notamment été retenue pour la Biennale de Glasgow, en avril et mai prochains.

Dotée d'une imagination sans borne et de la richesse du doute, mêlant fiction et réalité, elle a choisi une oeuvre plutôt corsée pour son premier solo à Clark. Du genre de celles qui nécessitent de la patience, une écoute attentive et du temps, un des sujets traités.

Déjà présentée en Allemagne, son installation Strata comprend trois images projetées (un fossile de feuille, un stylo sur une pierre et un gâteau étagé), une vidéo d'images de grotte, un commentaire sonore en anglais, une traduction en français sur un écran et le chant sépulcral When I Am Laid in Earth, de Purcell (Didon et Énée).

Strata est une histoire compliquée dans laquelle l'artiste a, en plus, inséré une grammaire «non genrée» où les articles «le» et «la» sont remplacés par «li» quand ils sont liés à une personne.

Ainsi, le fossile, li géologue, li marin et li boulanger font partie du récit, une histoire de tunnel entre l'Afrique et l'Europe et de strates géologiques... d'où le gâteau à étages en guise d'analogie. Une histoire de liens, de quête, de temps qui passe, de rapports continentaux comme de rapports humains.

Née à Hamilton d'un père tanzanien et d'une mère canadienne, et vivant aujourd'hui à Paris, Kapwani Kiwanga s'empare de la marge et de la consistance pour discourir avec aise. L'intention est respectable, mais la complexité de sa forme obscurcit son propos.

Nicolas Fleming

Beaucoup moins opaque, l'installation Une causeuse, un distributeur d'eau, un vase, de Nicolas Fleming, n'en est pas moins troublante. Cette petite maison qui prend tout l'espace d'une des salles du Clark rappelle celle que l'artiste a construite l'été dernier au bord de l'autoroute 20, dans le cadre de l'exposition linéaire Truck Stop.

Mais si, sur l'A20, on avait droit aux murs extérieurs d'une maison en bois aggloméré et à une brève incursion à l'intérieur, la reconstitution à Clark met l'accent sur la «décoration» intérieure.

Fleming a créé des sculptures avec du gypse, du plâtre et du métal, instaurant un environnement réaliste et inconfortable.

Comme pour Kapwani Kiwanga, il faut ouvrir l'oeil pour saisir les subtilités. Car le travail de Fleming est délicat. Un mur a été peint pour ressembler à une vraie plaque de gypse. Le plâtre du gypse a été scellé pour éviter qu'il se disloque. Une plaque de gypse a été placée au sol pour que les visiteurs n'aient pas la tentation de s'asseoir sur le divan... ce qui serait fatidique! Et regrettable pour cet univers fantasmagorique.

Maryse Goudreau

Dans le cadre d'une résidence en collaboration avec le centre de production vidéo Prim, Maryse Goudreau présente à Dazibao son essai vidéo Mise au monde, une oeuvre qui découle de son intérêt marqué pour les bélugas. Elle a ainsi compilé les interventions de tous les députés de l'Assemblée nationale qui ont évoqué le béluga depuis 100 ans!

Photo Bernard Brault, La Presse

Le corpus Strata de Kapwani Kiwanga est une histoire complexe qui porte notamment sur le temps qui passe et sur les rapports continentaux et humains.

Sorte d'histoire en style libre sur nos liens avec ces mammifères marins, le film contient des images tournées au Québec et en Russie. Il parle de maternité, de protection, de diversité biologique et d'utilisation des animaux pour distraire les humains. Il fait aussi écho au cinéma direct de Michel Brault, de Marcel Carrière et de Pierre Perrault, dont le film Pour la suite du monde, en 1962, abordait la dernière capture d'un béluga au Québec.

Mise au monde illustre aussi un peu pourquoi Maryse Goudreau a été la première lauréate du prix Lynne-Cohen (remis par le Musée national des beaux-arts du Québec), tant son oeil rappelle celui de la photographe disparue en 2014.

On apprend bien des choses dans cet essai. Que les Russes ne parviennent pas à faire procréer des bélugas en captivité. Que la Russie est le seul pays à les chasser pour les mettre en captivité. Que le Canada en achète à la Russie pour l'aquarium de Niagara Falls. Et que si une réflexion artistique sur le sujet est une initiative fort louable, il faudra bien d'autres gestes concrets pour sauver les bélugas et pour cesser de nuire à la diversité biologique.

Myriam Yates

Se souvenir d'où l'on vient, comme le suggère la devise du Québec, c'est s'attacher aussi aux ressources rares de la vie. Les bélugas ou... les édifices insolites qui passionnent Myriam Yates.

L'artiste présente à Dazibao l'installation vidéo Gander Islands, un corpus terre-neuvien qui rappelle, lui aussi, les vastes espaces de Lynne Cohen. Avec des images de l'aéroport de Gander, lieu stratégique pour les compagnies aériennes mais tombé en désuétude, et celles des studios de Fogo Island Arts qui accueillent des artistes en résidence. Des films qui, comme les photos de Cohen, célèbrent l'objet, la forme et le lieu dans sa géométrie conservatrice, son mobilier suranné et sa présence humaine à la fois absente et ressentie.

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Strata, de Kapwani Kiwanga, et Une causeuse, un distributeur d'eau, un vase, de Nicolas Fleming, au Centre Clark (5455, avenue de Gaspé, local 114, Montréal), jusqu'au 17 février

Mise au monde, de Maryse Goudreau, jusqu'au 17 février, et Gander Islands, de Myriam Yates, jusqu'au 10 mars, au centre d'art Dazibao (5455, avenue de Gaspé, local 109, Montréal).

Photo Bernard Brault, La Presse

L'odeur du bois, la lumière, le visuel sont des composantes de l'exposition Une causeuse, un distributeur d'eau, un vase, de Nicolas Fleming, présentée au Centre Clark jusqu'au 17 février.