Joan Mitchell et Jean-Paul Riopelle ont vécu une histoire d'amour, parfois agitée, de 1955  à 1979. L'artiste américaine et son bien-aimé québécois ont aussi partagé, durant cette période, leurs connaissances et techniques artistiques. La collision féconde de leurs talents fait l'objet d'une exposition inédite  au Musée national des beaux-arts  du Québec (MNBAQ), avec  la présentation de 60 oeuvres  rares provenant de collections  internationales.

L'idée de repérer des points de convergence entre les oeuvres de Joan Mitchell (1925-1992) et celles de Jean-Paul Riopelle (1923-2002) émane de l'ex-directrice des expositions et de la médiation au MNBAQ (de 2012 à 2016), Anne Eschapasse, aujourd'hui au Musée des beaux-arts du Canada. 

L'ex-conservateur de l'art contemporain au Musée des beaux-arts de Montréal Stéphane Aquin - qui occupe aujourd'hui un poste similaire au Hirshhorn, à Washington -, avait aussi songé à une telle analyse. Une approche révélatrice, comme le confirme l'exposition Mitchell | Riopelle. Un couple dans la démesure

Ex-conservateur de l'art contemporain au MNBAQ, Michel Martin signe le commissariat de cet exercice de haut vol qui débute par des oeuvres antérieures à la rencontre des deux peintres. On peut ainsi mesurer leur cheminement subséquent, tous deux ayant baigné au coeur des mêmes influences post-cubistes et de l'automatisme surréaliste.

Magnétisme immédiat

Inspirée par les expressionnistes abstraits de la New York School  - entre autres Philip Guston, Willem de Kooning et Jackson Pollock -, Joan Mitchell rencontre Riopelle à Paris en 1955. Comme le racontent Michel Martin et le philosophe français Yves Michaud dans le catalogue qui accompagne l'exposition, le magnétisme mutuel est immédiat. Par exemple, Riopelle s'essaie soudain à la gouache. «Mes grandes gouaches de 3 pieds par 3 pieds ressemblent à des tableaux de toi mon amour», lui écrit-il quand Joan s'éloigne de Paris. 

En 1958, Mitchell se risque au couteau et à la gestuelle éclatée de son partenaire. Placés côte à côte, Piano mécanique, de Mitchell, et Landing, de Riopelle, ont l'air du yin et du yang de la même idée.

La correspondance de style est frappante entre le Sans titre, 1956-1957, de Mitchell, et le Sans titre, de 1958, de Riopelle. Dans ce cas, c'est Riopelle qui semble avoir été influencé. Même constat avec son Gitksan de 1959, judicieusement associé à un Sans titre de Mitchell de 1958. 

Influence au paroxysme

En 1964, le couple peint de larges tableaux. Avec Girolata et Large Triptych, l'influence réciproque est à son paroxysme. 

Toutefois, il ne faut pas chercher systématiquement des similitudes d'apparence. Les deux artistes sont d'abord des peintres du sentiment, même quand celui-ci exprime un paysage, comme dans le cas de Girolata, un village de Corse visité ensemble.

Après l'achat par Mitchell d'une propriété à Vétheuil, au bord de la Seine, en 1967, leurs oeuvres prennent de la vigueur, comme le montre le superbe diptyque Un jardin pour Audrey, de Mitchell, inspiré par son jardin et son amie disparue. Riopelle, lui, se met à peindre, dans son atelier parisien, de grandes toiles lyriques imprégnées de symboles amérindiens.

Après la période 1968-1974, les convergences artistiques s'amenuisent. Le couple commence à diverger. En 1975, Riopelle renverra même un tableau que Joan Mitchell lui avait offert. Elle l'intitulera Returned... 

Hiver artistique

L'exposition comprend quelques oeuvres créées par Mitchell au Québec. Avec des formes et des teintes hivernales qui rejoignent celles de Riopelle. Et puis trois toiles de Riopelle de sa série Iceberg, des toiles balancées par la série dramatique des Tilleul de Mitchell, toujours reliée à son jardin de Vétheuil.

Photo Bill Orcutt, fournie par le MNBAQ

Sans titre, 1951, Joan Mitchell, huile sur toile, 1,88 m x 2,03 m. Collection particulière, Paris © Succession Joan Mitchell.

Après sa séparation, le couple conserve des relations amicales. De façon naturelle, les influences cessent. À la mort de Mitchell, Riopelle crée son Hommage à Rosa Luxembourg, une ode monumentale à Joan Mitchell que l'on peut admirer dans le couloir reliant le pavillon Pierre-Lassonde au pavillon Charles-Baillairgé. 

Si les critiques américains se sont toujours refusés à évoquer des correspondances entre les toiles de Mitchell et de Riopelle (reprochant également à Mitchell d'avoir adopté un style «français»), leurs réserves pourraient s'atténuer. Mitchell a acquis une reconnaissance qu'elle n'a jamais eue de son vivant. «Et aujourd'hui, pour la Fondation Joan Mitchell, cette exposition est une révélation», dit Michel Martin.

Pour les amateurs d'art, cet événement est extrêmement enrichissant. Une nouvelle page de l'histoire de l'art des États-Unis, du Canada et de la France est écrite grâce au musée national de la Vieille Capitale.

Le rassemblement inédit d'oeuvres de Joan Mitchell est une primeur. Jamais l'artiste américaine n'avait bénéficié d'un tel déploiement au Canada. Et ce, grâce à des prêts exceptionnels provenant de collections particulières et d'institutions majeures comme le Centre Pompidou, le Musée d'art moderne de Paris ou le Hirshhorn Museum. 

Après Québec, cette exposition sera présentée au Musée des beaux-arts de l'Ontario (AGO), du 17 février au 12 mai 2018, puis à Landerneau, en France, du 9 décembre 2018 au 10 mars 2019.

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Au Musée national des beaux-arts du Québec (parc des Champs-de-Bataille, Québec), du 12 octobre au 7 janvier.

Photo Christine Guest, fournie par le MNBAQ

La ville, 1949, Jean-Paul Riopelle, huile sur toile, 100 cm x 81 cm. Collection particulière © Succession Jean-Paul Riopelle/SODRAC (2017).