Dans le cadre de Momenta, la biennale de l'image, le musée McCord expose le travail du photographe de Vancouver Jayce Salloum. Une réflexion sur l'état du monde contemporain, avec ses conflits, son environnement naturel déconsidéré, ses crises identitaires et la situation précaire de nombreux peuples.

La nouvelle expo montréalaise de Jayce Salloum s'intitule location/dis-location (s): beyond the pale. Un titre qui s'apparente à la volonté de la présente biennale Momenta de nous inviter à douter. Le doute, compagnon salutaire de tout examen d'une image...

«Beyond the pale» est une expression anglaise remontant au XVIIe siècle et qui fait historiquement référence aux délimitations de la juridiction anglaise en Irlande. Elle est devenue une façon d'indiquer un choix, une direction déterminés par rapport à une certaine bienséance, conformité, voire moralité. 

Par cette expression accolée à location/dis-location(s)  - un travail qu'il a entrepris il y a plusieurs années -, Jayce Salloum indique que son propos va au-delà du consensuel afin de faire prendre conscience d'enjeux de la réalité planétaire.

Quatre mosaïques

Au musée McCord, l'artiste a constitué quatre déploiements muraux avec 500 photos prises au cours de ses pérégrinations de par le monde depuis 1979. Une sélection scindée en quatre thèmes et dans laquelle on retrouve les traces de ses observations au Canada, au Proche-Orient (région d'origine de ses grands-parents), aux États-Unis, en Australie, en Europe de l'Est, en Afghanistan, en Chine ou encore en Amérique du Sud et en Amérique centrale. 

Quand La Presse a rencontré l'artiste, la semaine dernière, il travaillait avec ses assistants à définir ses quatre mosaïques en plaçant au sol les images puisées dans ses archives. 

«La contiguïté des images provoque des questionnements sur les grands enjeux que sont l'état de la nature, les migrations humaines, l'industrialisation et les questions territoriales» , dit Hélène Samson, conservatrice à la photographie au musée McCord.

«Jayce Salloum a étudié la photographie dans les années 70 au San Francisco Art Institute, qui était alors à l'avant-garde en photographie. On y développait la photographie comme un moyen d'approfondir la conscience.»

Parmi les photos de Salloum, certaines ont été prises dans des usines chinoises de fabrication de chaussures ou d'ustensiles en céramique, que le lauréat du prix du Gouverneur général en 2014 a visitées. 

Images intéressantes aussi que celles découlant de son voyage en Afghanistan, notamment dans le village de Bamiyan, à 100 km à l'ouest de Kaboul. Là, les talibans avaient dynamité, en 2001, un immense bouddha de 53 mètres de hauteur datant du Ve siècle. Ces images permettent de voir le village, les rues, les espaces troglodytiques percés dans la grande falaise de grès, et cet immense espace vide où se trouvait la statue de Vairochana, bouddha central des écoles tantriques.

Une lentille toujours prête

Jayce Salloum photographie la vie partout où il passe. Un volcan en activité en Islande, l'étendue de la banlieue de Los Angeles, des enfants de Colombie-Britannique portant des masques amérindiens, des fleurs, des anémones de mer, une reconstitution de l'Ouest américain dans un parc d'attractions autrichien, des réfugiés syriens en attente à Salzbourg, un musée cubain qui détaille le trafic des millions d'esclaves africains envoyés pendant trois siècles en Amérique...

Photo Martin Tremblay, La Presse

Quand La Presse a rencontré Jayce Salloum, la semaine dernière, il travaillait avec ses assistants à la définition de ses quatre mosaïques de photos en puisant des images dans ses archives.

Ses photos, qu'elles représentent des paysages ou des activités humaines, reflètent son habitude d'immortaliser ce que ses yeux voient.

Jayce Salloum se plaît à dire que son appareil est toujours ouvert. «Il y a beaucoup de sujets pour lesquels je continue d'explorer au fil de mes voyages. Comme un bagage qui m'accompagne toujours.»

«J'essaie de prendre connaissance des situations humaines et de voir comment l'histoire interfère sur le présent des gens. Et ça me permet de créer une sorte de géographie des façons de vivre.»

Au fil du temps, cet exercice de juxtaposition d'instantanés terrestres prend un sens de plus en plus conforme. «Le contenu devient plus riche, plus dense et plus tactile, dit Jayce Salloum. Alors que lors de la première vue, on reste en surface.» 

Ce pouvoir de l'expérience et cette quête de sens illustrent la force documentaire de la photographie, ce témoignage qui frise la réalité comme la tangente près de sa courbe. Une démarche artistique qui peut avoir des conséquences sociales mais de façon modeste, reconnaît l'artiste.

«Quand les gens viennent voir ces photos, ça les fait réfléchir, notamment à leurs interactions avec l'environnement. Sinon, mon travail est plus proche de la méditation et montre ma propre relation au monde.» 

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Au musée McCord (690, rue Sherbrooke Ouest, Montréal), jusqu'au 12 novembre.

Photo Martin Tremblay, La Presse

Au Musée McCord, Jayce Salloum a constitué quatre grands déploiements muraux avec un total de 500 photos prises au cours de ses pérégrinations de par le monde, depuis 1979.