Mais qui sont ces badauds qui répètent machinalement, pendant des heures, les mêmes gestes depuis quelques jours au marché Atwater? Intriguée, La Presse est allée à leur rencontre et a découvert l'oeuvre vivante de John Boyle-Singfield, artiste et véritable sculpteur du réel, qui s'est inspiré du film The Truman Show pour bouleverser - gentiment, on s'entend - les habitués du marché public montréalais.

Une femme marche calmement près du canal de Lachine, devant la boutique d'un marchand de fleurs. Elle tient dans ses mains un morceau de métal qu'elle frotte sur une clôture, créant une jolie mélodie. Ce geste, elle le répète pendant des heures, depuis des jours.

Voilà l'une des actions qu'a mises en place John Boyle-Singfield, un artiste originaire de Chicoutimi, qui a bouleversé cette semaine les habitués du marché Atwater, dans le sud-ouest de Montréal, en s'inspirant de la vie quotidienne.

Avec huit interprètes, il a chorégraphié des séries de gestes anodins, mais répétés, qui forment un mélange de performance artistique et de sculpture, vivante dans ce cas-ci.

«J'essaie de déclencher une expérience de déjà-vu. Un déjà-vu, par définition, c'est quelque chose qui questionne l'authenticité de ta vie réelle. [Des événements] se passent et il y a un sentiment d'étrangeté parce que tu as l'impression de l'avoir déjà vécu. Ça fait en sorte que tu remets en question la propre authenticité de ta vie banale et de ta réalité», explique l'artiste en entrevue avec La Presse.

Comme au cinéma

Cette oeuvre, qui se termine aujourd'hui avec un «finissage» ouvert au public, John Boyle-Singfield y réfléchit depuis au moins 10 ans. Inspiré par The Truman Show, mettant en vedette Jim Carrey, il a voulu revisiter l'esprit d'un segment du film où le personnage principal vit pour la deuxième fois, sans comprendre pourquoi, la même journée.

«Mais qu'est-ce qu'elle fait là?», s'est d'ailleurs ouvertement interrogée une commerçante du marché, alors qu'une artiste interprète de l'oeuvre de John Boyle-Singfield demandait pour la troisième journée de suite une carte professionnelle.

«Quand Francisco [un autre interprète] a fait sa chorégraphie cette semaine, quelqu'un dans la mi-vingtaine est allé le voir et lui a dit: "Qu'est-ce que tu fais là ?" [...] Les gens sont vraiment intrusifs. Tu te rends compte que la réalité urbaine est très répétitive et étroite. Dès que tu t'écartes un peu [et que tu répètes un geste, par exemple], les gens deviennent suspicieux», raconte l'artiste.

Une performance qui ne finit plus

Ce que John Boyle-Singfield aime aussi de la sculpture avec des êtres vivants, c'est que son oeuvre évolue et se métamorphose sous les yeux de tous.

«On deale avec des humains dans un espace public, ça ne marche pas toujours à 100 % comme on le souhaite. Il y a toujours quelque chose qui fait en sorte que l'action qu'on veut faire est un peu différente [de ce qu'on avait prévu].»

Puis, contrairement aux performances artistiques traditionnelles, qui s'inscrivent dans le temps avec un début et une fin, les artistes de cette sculpture vivante espèrent refaire l'expérience l'an prochain, au même endroit, et qui sait, pérenniser l'oeuvre dans le temps.

«La Ville pourrait fixer une oeuvre comme celle-ci de façon permanente, pour qu'elle devienne aussi proéminente qu'une sculpture dans un parc. Sauf que cette sculpture, elle serait vivante», dit-il.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Victoria Stanton arrive du pont qui relit les deux côtés du canal Lachine. Chaque fois, habillée de la même façon et répétant les mêmes gestes, elle descend de son vélo, lit les directives sur une pancarte, puis traverse.