Avec sa barbe, son jeans, ses lunettes à grosse monture et sa dégaine nonchalante, Olafur Eliasson pourrait facilement passer pour un prof de l'UQAM ou un porte-parole de la CSN.

Les apparences, dans son cas, ne sont pas si trompeuses puisque l'artiste dano-islandais de 50 ans qui se dit social-démocrate a autant de respect pour les universitaires que pour les syndicalistes. Mais là s'arrête l'analogie, car Olafur Eliasson est non seulement un artiste visuel internationalement reconnu, mais aussi une star de l'art contemporain qui joue dans les mêmes ligues majeures que les Jeff Koons ou les Anish Kapoor de ce monde. Au Tate Modern de Londres, deux millions de personnes se sont rués dans la salle où brillait le soleil artificiel de son Weather Project.

De Paris à New York en passant par Venise et Versailles où, l'été dernier, il a installé une cascade de 40 mètres de haut au milieu des jardins du Roi-Soleil, on salue autant le côté monumental que la simplicité dépouillée de son travail souvent inspiré par la nature, comme cette rivière à Berlin qu'il a teinte en vert ou ces 12 blocs de glace qu'il a fait venir du Groenland pour qu'ils finissent de fondre sur le pavé parisien lors de la conférence sur les changements climatiques en 2015.

Bref, ce Olafur Eliasson n'est pas n'importe qui. C'est un vrai coup de maître que le Musée d'art contemporain a réussi en l'invitant à présenter à Montréal, cet été, sa toute première expo solo au Canada.

J'avais lu qu'Olafur Eliasson était un homme modeste qui ne se prenait pas la tête. J'en ai eu la confirmation lundi lorsqu'il s'est pointé dans la salle de réunion. J'ai voulu faire une blague en lui demandant pourquoi il avait attendu aussi longtemps avant d'exposer au Canada. Sauf que ce n'était pas la première fois. En 1998, Eliasson a été invité à Amos pour participer au troisième Symposium d'arts visuels d'Abitibi-Témiscamingue, une exposition de groupe en pleine nature. Je ne me souvenais plus, mais c'était moi, la présidente d'honneur. Le monde est vraiment petit...

«C'était ma première exposition de groupe, a-t-il raconté. Il y avait eu des incendies de forêt cet été-là dans la région. Ça me fascinait; d'autant qu'en Islande, où j'ai grandi en partie, il n'y a pas d'arbres. J'ai passé des heures à me promener dans un paysage lunaire dévasté qui m'a beaucoup inspiré par la suite.»

À l'époque, Eliasson avait 31 ans. C'était un pur inconnu qui tentait de faire sa marque. Il vivait déjà à Berlin, où il réside toujours, mais il n'avait pas encore fondé le Olafur Eliasson Studio, un incubateur créatif où travaillent aujourd'hui 90 infographistes, designers, architectes et vidéastes, tous au service de l'oeuvre (et des contrats) d'Eliasson qui les inspire, les guide et les nourrit de gastronomie végétarienne.

L'élection de Macron

Malgré cela, Eliasson n'aime pas beaucoup parler d'art, ni se perdre en longues explications abstraites sur sa démarche. C'est un pragmatiste, fasciné par la science, la technologie et la politique. Dernièrement sur sa page Facebook, il n'a pas hésité à saluer l'élection d'Emmanuel Macron. «Un grand vent de populisme souffle sur l'Europe depuis un certain temps et c'est inquiétant parce que cela polarise les camps, ce qui n'est jamais bon. Moi, je suis pro-Union européenne, pro-ententes multilatérales. À mes yeux, le Brexit est un désastre. C'est pourquoi l'élection de Macron m'a tant soulagé. Je ne le connais pas, mais je sens d'instinct qu'il ne sera pas un feu de paille.»

L'artiste a sa propre théorie sur l'élection du président français.

«Plusieurs croient que son élection est une réaction à Trump. Moi, je crois au contraire que son élection a à voir avec l'échec de Hillary qui a été incapable de créer une trame narrative qui aurait uni les gens au lieu de les diviser. Comprenez-moi bien, l'échec de Hillary, c'est un peu aussi mon échec puisque je l'appuyais et que moi non plus, je n'avais pas vu ni compris à quel point toute une couche de la société américaine se sentait exclue.»

Combattre l'exclusion 

De la politique américaine au monde de l'art contemporain, il n'y a qu'un pas, qu'Eliasson franchit aisément en affirmant que les musées doivent tout faire pour combattre le sentiment d'exclusion de ceux qui restent à la porte du musée sans oser y entrer. «Les habitués des musées ne voient pas ces institutions comme une menace et c'est tant mieux, mais qu'est-ce qu'on fait avec les autres? Ceux qui ressentent de l'inconfort au musée et qui pensent qu'au fond, s'ils ne comprennent pas les oeuvres, c'est parce qu'ils ne sont pas assez intelligents. Les musées doivent absolument tendre la main à ces gens-là et faire en sorte qu'ils se sentent bienvenus, inclus et compétents.»

Dans son raisonnement sur la nécessaire ouverture des musées, l'artiste lance une expression qui me fait tiquer. Il dit: «Les gens doivent pouvoir s'identifier et se projeter dans les oeuvres. Ils doivent pouvoir se dire: moi aussi, je peux faire ça.»

Ses propos me rappellent la fameuse controverse opposant les députés conservateurs de l'Ouest canadien en colère contre l'acquisition par le gouvernement fédéral au prix de 1,7 million de Voice of Fire, un tableau de Barnett Newman constitué de deux bandes bleues et d'une bande rouge. «N'importe qui peut faire ça», ont-ils hurlé en Chambre.

«Ce que je voulais dire par cette phrase, explique Eliasson, c'est: je peux faire ça et c'est merveilleux. L'art doit être ancré dans le réel. Je ne veux pas d'un art qui n'est qu'illusion. Barnett Newman n'était pas un snob. C'était un homme ouvert, un social-démocrate sans doute, qui voulait que les musées soient accessibles et accueillants pour tous et non pas le monopole d'une élite de snobs et d'initiés.»

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU STUDIO OLAFUR ELIASSON

The Weather Project, d'Olafur Eliasson

Nous quittons la salle de réunion pour les salles d'exposition où des dizaines d'ouvriers s'affairent à recréer le monde en jeux d'ombres d'Olafur Eliasson. Il m'entraîne vers la pièce maîtresse - Maison des ombres multiples -, une maison qui est la réplique de sa maison d'été où les planchers sont en bois et les murs, des écrans où surgissent les ombres dédoublées des visiteurs.

Il ne m'explique rien, mais il me fait visiter la maison comme si nous étions vraiment chez lui et, l'espace d'un instant, j'oublie que je suis dans un musée avec un des grands artistes de son époque. Quelque chose me dit que c'est exactement l'effet recherché par Olafur Eliasson.

Olafur Eliasson - Maison des ombres multiples, au Musée d'art contemporain, du 21 juin au 9 octobre 2017

PHOTO SIMON GIROUX, LA PRESSE

À l'intérieur de la Maison des ombres multiples d'Olafur Eliasson