Qui était Georges Remi (1907-1983), à part le fait d'avoir donné naissance à Tintin, l'un des personnages de bande dessinée les plus connus de la planète? Présentée au Musée de la civilisation, à Québec, jusqu'au 22 octobre, l'exposition Hergé à Québec en donne une bonne idée... mais on en aurait aimé plus!

Présentée l'hiver dernier à Paris, cette expo de facture classique ravira petits et grands avec 300 dessins, planches de BD, maquettes, peintures, photos, documents d'archives et extraits de documentaires sur un des plus grands bédéistes du XXe siècle. Mais pourquoi ses concepteurs (Studios Hergé et Moulinsart) ont-ils créé un parcours qui part de la mort d'Hergé pour finir par sa naissance? L'initiative est un peu dérangeante, mais vous avez le loisir de faire la visite dans l'autre sens... 

Cela dit, on en apprend beaucoup sur le célèbre dessinateur belge. À commencer par ses talents de peintre qui auraient pu en faire un artiste notoire dans les années 60 s'il n'avait préféré se consacrer totalement à la BD. Sept de ses huiles sont accrochées, des peintures dans lesquelles on sent l'influence de Klee et de Miró. 

Grand amateur d'art, Hergé en collectionnait: le musée expose ses sérigraphies de Roy Lichtenstein, un portrait d'Hergé par Warhol ou encore des acryliques de Jean-Pierre Raynaud, cet artiste français dont la Ville de Québec a détruit, il y a deux ans, l'oeuvre en marbre Dialogue avec l'histoire que la France lui avait offerte en 1987. 

Recherche documentaire

Dans une vitrine, des objets d'art africain illustrent la recherche qu'Hergé effectuait systématiquement pour ses BD. «Il ne voyageait pas, alors pour se documenter, il allait dans les musées, dont les Musées royaux des beaux-arts de Belgique», dit Marie-Christine Bédard, chargée de projet au Musée de la civilisation. 

Pour l'album On a marché sur la Lune, en 1954, Hergé fit faire une maquette de fusée la plus réaliste possible.

«Hergé essayait de rester le plus près possible de la science. Il allait aussi chercher ses inspirations dans le cinéma, comme on l'a vu dans L'île noire, où le singe est inspiré de King Kong.» 

Un mur est tapissé d'albums de Tintin dans toutes les langues. Au milieu, on distingue une croix blanche faite de couvertures de Tintin au Tibet et entourée d'albums Tintin et le Lotus bleu. Marie-Christine Bédard explique que la croix est liée au fait qu'Hergé et sa seconde femme ont soutenu le dalaï-lama et les Tibétains en lutte contre l'occupant chinois. 

Plus loin, on apprend que la norme de 62 pages des albums de Tintin découle de la Seconde Guerre mondiale, quand la pénurie de papier obligea l'éditeur Casterman à exiger d'Hergé de réduire la longueur de ses histoires. C'est dans cette période qu'Hergé publia dans le quotidien Le Soir, alors sous contrôle des nazis, ce qui lui valut d'être critiqué à la fin de la guerre. Dans un documentaire réalisé par Gérard Valet et Henri Roanne en 1976, il se justifia en disant qu'il n'avait pas de sympathie pour les Allemands et avait simplement travaillé pour gagner sa vie. 

On découvre les planches du premier Tintin, Tintin au pays des Soviets, d'abord publié dans un supplément du journal belge catholique Le XXième siècle. Le personnage de Tintin n'a pas encore sa forme définitive. Le trait, les dialogues et l'humour vont se raffiner plus tard.

Un espace décrit les principaux personnages des Tintin : Dupond et Dupont, le professeur Tournesol, la Castafiore, le majordome Nestor, etc. Puis, on retrouve Hergé en 1934 avec sa rencontre avec l'étudiant chinois Tchang Tchong-Jen, juste avant la sortie du Lotus bleu. Une amitié qui lui permit de mieux comprendre la culture chinoise et d'adopter le style de la «ligne claire», caractéristique du dessin d'Hergé, les limites de chaque personnage étant définies par un trait noir à l'encre de Chine. 

Une salle expose des publicités qu'Hergé réalisa dans les années 30. Puis, la dernière salle évoque sa jeunesse. Les scouts et son bonheur de raconter des anecdotes sont à la source de sa passion pour la BD. Sont exposés ses premiers dessins, son cartable d'écolier et des planches de bédéistes qui l'ont influencé.

L'exposition est exhaustive - les documents présentés sont vraiment de grande valeur - mais elle souffre d'un manque de contrastes. On aurait apprécié des mises en contexte plus étoffées, avec un commissariat plus touffu. 

Scrutés de près depuis plus de 30 ans, les albums d'Hergé ont eu parfois des motivations sous-jacentes. Tintin au pays des Soviets critiquait le communisme. Tintin au Congo magnifiait le colonialisme belge d'alors et fut critiqué pour ses stéréotypes. Le Sceptre d'Ottokar condamnait le fascisme. Il aurait été judicieux d'aborder les réflexions qui émanent des sujets traités dans les albums d'Hergé, des ouvrages qui reflétaient souvent les croyances et des préjugés de l'époque de leur publication. 

Hergé a marqué profondément l'univers de la BD. Il a inspiré nombre d'illustrateurs et fascine toujours des enfants du monde entier. Mais ses histoires méritent d'être contextualisées et expliquées aux plus jeunes. Si l'on ne veut pas perpétuer des errements du passé.

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Hergé à Québec, au Musée de la civilisation (85, rue Dalhousie, Québec), jusqu'au 22 octobre.