Dépeindre 21 premiers ministres, quelques champs de bataille et plus de 450 ans d'histoire en un seul et même tableau? C'est la commande un brin folle qu'a passée l'homme d'affaires québécois Salvatore Guerrera à l'artiste américain Adam Miller. Le résultat a été dévoilé récemment à la galerie Paul Booth, à New York.

Philippe Couillard qui s'agrippe à Pauline Marois comme un naufragé à sa bouée, Lucien Bouchard qui susurre à l'oreille de Pierre Elliott Trudeau, des Filles du roi qui tourbillonnent dans les airs en compagnie de Lionel Groulx: l'immense fresque intitulée Quebec (sans accent) de l'Américain Adam Miller se veut un condensé de plus de 450 ans d'histoire.

Un condensé aussi baroque que surprenant. Comment un tableau pareil a-t-il pu voir le jour? Et qu'est-ce que Kim Campbell et Stephen Harper peuvent bien faire là-dedans?

Ce carambolage historique est né dans la tête de l'homme d'affaires Salvatore Guerrera. Fils d'immigrants italiens, il a voulu rendre hommage à la terre qui a permis à sa famille de prospérer. «Pour les 150 ans du Canada, j'ai voulu trouver un artiste qui pourrait exprimer l'importance de la contribution du Québec dans le Canada», explique-t-il.

«J'ai regardé aussi bien en Italie qu'aux États-Unis et j'ai découvert Adam Miller, qui a étudié la technique des grands maîtres à Florence», poursuit M. Guerrera.

Évidemment, quiconque a prêté attention à son cours d'histoire du Québec et du Canada au secondaire sait qu'il s'agit d'un terrain miné. Le peintre Adam Miller, originaire de l'Oregon, croit que son statut d'étranger l'a aidé dans ce projet.

«En venant de l'extérieur, je ne suis pas tributaire d'un point de vue, je n'ai pas été élevé avec une vision particulière des événements.»

Avant de poser ses pinceaux sur sa toile, Miller a passé une année à discuter avec Salvatore Guerrera des événements et des personnes qui devraient figurer sur sa fresque. L'artiste a également rencontré de nombreux politiciens, historiens et professeurs.

C'est ainsi que des événements incontournables ont pris place sur l'immense tableau de 9 pieds sur 10 pieds. Des plaines d'Abraham à la crise d'Octobre en passant par René Lévesque ou Pierre Elliott Trudeau, la plupart des événements et des personnalités sont attendus.

Quelques personnalités détonnent toutefois. La présence de Kim Campbell ou de Stephen Harper, notamment. «À partir de la Révolution tranquille, j'ai mis à peu près tous les premiers ministres», plaide l'artiste. Certains occupent une place centrale (comme René Lévesque), d'autres sont à peine visibles (comme Stephen Harper).

Autre surprise: la présence du regretté homme d'affaires (et propriétaire de La Presse) Paul Desmarais. «[M. Guerrera] m'a parlé du rôle qu'il a joué, en coulisse, pour garder le Canada uni. Alors, je l'ai mis au centre des choses, comme s'il travaillait en coulisse dans une partie calme du tableau», précise le peintre.

Trois niveaux

La toile d'inspiration baroque est construite en trois niveaux. À la base, on retrouve des gens «ordinaires». Il y a notamment une jeune fille qui porte un drapeau québécois, un peu à la manière de La liberté guidant le peuple de Delacroix. Paul Rose, de dos, est entouré d'otages du Front de libération du Québec. Adam Miller s'est également peint à ce niveau, «pour faire un clin d'oeil», dit-il.

Au-dessus, on retrouve une flopée de premiers ministres. Robert Bourassa est là, Jacques Parizeau aussi. Ce dernier dissimule d'ailleurs une petite tête du général de Gaulle dans sa main. 

Enfin, la partie supérieure est occupée par des événements et des personnalités plus lointains: la bataille de Long Sault, Wilfrid Laurier, Jacques Cartier... Étonnamment, la rébellion des Patriotes n'est pas représentée. «On ne pouvait pas tout mettre», indique Miller.

Salvatore Guerrera, qui insiste pour dire que sa toile est apolitique, espère bien qu'elle sera vue par le plus grand nombre. À l'automne, elle devrait notamment être exposée à Montréal, au musée McCord. M. Guerrera souhaite qu'elle trouve ensuite une place dans une institution publique. «Pourquoi pas à l'Assemblée nationale?», conclut-il.

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Le tableau Quebec est exposé à la galerie Paul Booth, dans la 38e Rue, à New York, jusqu'au 1er juillet.

PHOTO YVES SCHAËFFNER, COLLABORATION SPÉCIALE

Salvatore Guerrera devant le tableau Quebec, qu'il a commandé à l'artiste américain Adam Miller