Comment reconnaître la main du Caravage? Depuis trois ans, les meilleurs spécialistes du maître du clair-obscur se divisent à propos d'un tableau retrouvé dans une propriété du sud-ouest de la France et attribué à ce génie de la peinture.

Découvert par hasard dans un grenier d'une maison toulousaine à la suite d'une fuite d'eau, l'oeuvre avait été soumise à l'expert français Eric Turquin. Ce dernier estimait que cette représentation d'une scène biblique, Judith décapitant Holopherne, n'avait pu être peinte que par le sulfureux Michelangelo di Caravaggio.

Caravage ou pas, après l'examen du tableau toulousain par les spécialistes du Louvre, l'État a choisi de le classer Trésor national, empêchant ainsi sa vente à l'étranger jusqu'en novembre 2018. Si elle veut garder ce chef d'oeuvre, la France devra débourser 120 millions d'euros, un prix considéré comme normal pour ce peintre majeur.

Encore faut-il qu'il s'agisse d'une oeuvre de l'artiste qui révolutionna la peinture du 17e siècle.

Caravage a déjà traité cet épisode dans une autre toile datée de 1598: après avoir gagné la confiance d'Holopherne, la pieuse Judith égorge par surprise ce général, qui, sur ordre de Nabuchodonosor, assiégeait la ville juive de Bethulie.

Si les deux tableaux ne se ressemblent guère, la peinture toulousaine, une huile de grand format (144 sur 173 cm), est en revanche très proche d'une oeuvre de Louis Finson, un peintre flamand travaillant à Naples, connu pour avoir fait des copies de toiles du Caravage.

Le tableau retrouvé serait-il l'original copié par Finson? C'est ce que pense Eric Turquin qui souligne «l'énergie qui se dégage de l'oeuvre et de l'expression du visage de Judith».

Face au tableau extrait pour l'occasion de la chambre forte du cabinet d'expertises et éclairé par la seule lumière du jour, il pointe la qualité de traitement des textiles - le drap au premier plan, le noeud rouge en haut à gauche -, la matière très crémeuse, typique du peintre.

Pour 300 ducats

Il note les coups de pinceaux de l'artiste qui ne faisait pas de dessin préparatoire, jusqu'à l'ongle sale d'Holopherne, détail caractéristique de ce précurseur du réalisme.

Le Caravage a séjourné à Naples pendant ses années de cavale après sa condamnation pour le meurtre d'un jeune homme au cours d'une rixe à Rome.

Or, une note adressée au Duc de Mantoue quelques mois après le départ du peintre pour Malte fait état d'un tableau du Caravage représentant Judith et Holopherne, et proposé à 300 ducats, une somme considérable.

Également signalée dans cette note, un autre oeuvre, une Madone du Rosaire, est aujourd'hui au Musée des beaux-arts de Vienne.

Judith en revanche était portée disparue depuis 1617, dernière fois où il fait mention de ce tableau.

Organisée en février par la Pinacothèque de Brera, à Milan, où le tableau était exposé, une journée d'études réunissant quelques-uns des meilleurs spécialistes du Caravage n'a pas levé toutes les incertitudes.

Mais une étude scientifique a montré que le «Caravage» et le Finson étaient peints avec les mêmes préparations, les mêmes assemblages de toile et les mêmes modifications par rapport aux idées d'origine, visibles au rayons X.

Des caractéristiques «qui ne s'expliquent que si les deux tableaux ont été peints ensemble dans le même atelier, côte à côte» par deux peintres différents, précise une note de synthèse de la journée d'études.

Selon ce document, le tableau découvert dans un grenier toulousain ne serait donc pas une copie.

«Pourquoi l'auteur de la copie se serait donné la peine de peindre le vêtement de la servante apparaissant en transparence sous son voile?», renchérit Eric Turquin, expert qui vient par ailleurs de participer à l'authentification de deux tableaux perdus de Fragonard récemment retrouvées dans un château en Normandie.

Plus troublantes en revanche sont les rides concentriques sur le visage de cette même servante dont la préparation est inhabituelle. D'où l'hypothèse d'une deuxième main qui aurait terminé le tableau...