C'est à un parcours émotif, ludique, intellectuel et temporel que nous invite le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) avec l'exposition Mnémosyne. La conservatrice Geneviève Goyer-Ouimette vient de créer un intéressant assemblage d'oeuvres d'art de la collection du musée, en faisant dialoguer le passé et le présent, l'art moderne et ancien avec l'art contemporain. Beau flash.

La mémoire, c'est sûrement ce dont nous avons le plus besoin. À tout le moins pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Mnémosyne est la déesse grecque de la mémoire. Fille du Ciel (Ouranos) et de la Terre (Gaïa), elle a inventé le langage... et inspiré la conservatrice de l'art québécois et canadien contemporain au MBAM, Geneviève Goyer-Ouimette.

Celle-ci a associé, deux par deux, des oeuvres d'aujourd'hui et d'hier. Pas en fonction d'un thème précis ou d'une parenté esthétique, mais à cause d'une façon de faire, d'une intention artistique similaire ou voisine. Parmi les artistes contemporains élus pour cette expérience mémorielle, citons Pierre Dorion, Marion Wagschal, Mathieu Lefèvre, Karine Payette ou encore Kim Waldron. Et pour les maîtres du passé: Pieter Bruegel le Jeune, Claude Monet, Sigmund Holbein, Valentin de Boulogne ou Paulus Bor. 

Aby Warburg

L'idée de la conservatrice titulaire de la Chaire Gail et Stephen A. Jarislowsky provient de l'approche qu'avait exposée l'historien de l'art allemand Aby Warburg (1866-1929) dans son inachevé Atlas Mnémosyne, soit d'aller au-delà de l'esthétisme. De franchir le gué de la compréhension des oeuvres d'art en révélant leur complexité et leurs références. En les comparant entre elles, pour une période donnée. 

Du coup, ce parcours muséal est une invitation au jeu mais aussi à la réflexion, car rien n'est plus intéressant que de prolonger l'appréciation d'une oeuvre au moyen de son téléphone intelligent, se mettant en quête d'autres détails sur ses caractéristiques, son histoire propre.

C'est d'ailleurs une des richesses de cette expo mise en place à la perfection par l'équipe de la scénographe Sandra Gagné, soit le soin qu'a pris Geneviève Goyer-Ouimette de présenter, à côté de chaque oeuvre, un cartel si détaillé qu'il donne les clés nécessaires pour cheminer avec aisance durant notre promenade muséale au sein de cet univers de l'art.

Du coup, non seulement elle permet à deux périodes artistiques de se rencontrer 14 fois sur le terrain de la collision esthétique, mais elle donne aussi à des publics différents la possibilité d'élargir leur sphère de connaissances. 

Manon Labrecque

Ainsi, la vidéo de six minutes en boucle apprentissage, de l'artiste multidisciplinaire Manon Labrecque - qui conjugue dessin et expression corporelle pour évoquer la vie, sa durée, son impact - a été associée à des scènes de calvaire du Christ qui présentent le même jeu visuel de dédoublement et la même fragilité humaine. 

«C'est une façon de dire au visiteur: "Vous avez été touché par cette oeuvre, eh bien, pour les mêmes raisons, vous devriez être touché par celle-là", même si c'est une vidéo. Une façon d'ouvrir les esprits», dit Mme Goyer-Ouimette.

Photo André Pichette, La Presse

Devant: Mixed Blessing, 2011, de Rebecca Belmore (1960-), veste en coton, cheveux synthétiques, perles, hydrocal.

Aucune association envisagée par l'ex-directrice de Circa n'est tirée par les cheveux. Pour certaines, la ressemblance est un des critères, comme dans le cas du tableau S'attarder dans la demeure du temps (Vanitas), peint en 2016 par Dan Brault, et de la toile Vanité, de Peschier, datant de 1660. Ou encore avec L'invitation au voyage, le hors-bord en acajou de la série Indigo d'Edmund Alleyn (1989-1990), associé à Funérailles d'un officier de marine sous Louis XVI, l'huile d'Eugène Isabey datant de 1836 et montrant un vaisseau de guerre en pleine mer. 

Judicieux rapprochement que celui entre l'installation Tentative d'évasion (2016), de Catherine Bolduc, exposée l'an dernier à la Biennale nationale de sculpture contemporaine de Trois-Rivières, et Nature morte aux coquillages et au corail, de Jacques Linard (1640). 

On a bien aimé aussi le clin d'oeil à la tridimensionnalité avec la juxtaposition de l'huile sur carton Nature morte, peinte en 1924 par un jeune Salvador Dalí, et la fascinante installation hologrammique de Michael Snow, Nature morte en 8 appels (1986), avec ses images en 3D qui débordent devant vous quand vous prenez place sur les chaises en bois. Une étude comparée sur la quête récurrente de perspective.

Et puis l'oeuvre de Rebecca Belmore, Mixed Blessing! Quelle force! Quelle création ! Cette femme autochtone agenouillée, avec l'inscription «Fuckin'Indian/Fuckin'Artist» imprimée sur son dos, les mains ouvertes, une capuche sur la tête et ses cheveux noirs et brillants s'éparpillant en cascade... Une oeuvre immense sur l'identité, mise en parallèle avec une des capuches de Karel Funk, et balancée avec Sainte Marie Madeleine au désert, le tableau de Jean-Joseph Taillasson. Un autre agencement qui illustre, encore une fois avec bonheur, une filiation subtile entre l'art actuel et celui du passé. Encore faut-il savoir regarder, savoir chercher, savoir s'ouvrir l'esprit. Merci, Geneviève Goyer-Ouimette!

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Au Musée des beaux-arts de Montréal (1380, rue Sherbrooke Ouest), jusqu'au 20 mai.

Photo Christine Guest, fournie par le MBAM

Sainte Marie Madeleine au désert, 1784, Jean-Joseph Taillasson (1745-1809), huile sur toile, 205,7 cm x 195,4 cm. MBAM, achat, fonds de la Campagne du Musée 1988-1993.