En collaboration avec des musées européens, l'exposition estivale du musée Pointe-à-Callière présente l'Amazonie, son fleuve, ses ethnies, ses rites et ses richesses artistiques. Jusqu'au mois d'octobre, Amazonie - Le chamane et la pensée de la forêt propose un parcours aventureux et sonore au coeur du bassin amazonien, avec 500 objets d'art autochtones: des masques, des vases, des parures et des objets du quotidien.

Précisons d'entrée de jeu que cette exposition du musée Pointe-à-Callière doit beaucoup au Musée d'ethnographie de Genève, qui l'a originellement conçue et possède des milliers d'objets amazoniens, et à la participation des Musées royaux d'art et d'histoire, à Bruxelles.

Tandis qu'au premier étage, on évoque le fleuve Amazone, reconstitué visuellement par des projections de vagues sur des tables mises bout à bout, au deuxième étage, on met l'accent sur la forêt, l'archéologie, les parures et les rites.

Le décor dense, plutôt sombre, et les bruits d'insectes, d'oiseaux et de chants amérindiens donnent l'impression d'être réellement dans la forêt. Sont présentés les différentes ethnies vivant en Amazonie et le rôle du chaman, ce chef, ce protecteur, ce médecin de la communauté, capable, dit-on, d'entrer en contact avec les végétaux, les animaux, la rivière et les esprits. Et qui demeure, encore aujourd'hui, une personne importante au sein de ces communautés.

«Il permet de garder un certain équilibre entre les éléments différents de la vie pour vivre en harmonie», explique Serge Lemaitre, conservateur des collections des Amériques aux Musées royaux d'art et d'histoire, à Bruxelles.

Supplice des fourmis rouges

Les rites de chaque tribu ont leur propre spécificité, tout comme leurs idiomes qui font partie de cinq grands groupes linguistiques. Chez les Wayapa, dans le nord-est du continent sud-américain, les adolescents subissent un rite de passage à l'âge adulte en se rendant dans la forêt chercher des fourmis rouges ou des guêpes qu'ils vont agripper, vivantes, sur une natte qu'ils porteront sur leurs épaules par la suite pour montrer leur résistance à la souffrance. On peut voir à l'entrée de la salle le masque immense qu'ils doivent confectionner et porter ce jour-là.

Les objets exposés datent majoritairement de 1850 à 1960. «Mais la tradition continue encore aujourd'hui, dit M. Lemaitre. On se rend compte que, sur 200 ans, cela ne varie pas beaucoup, car ces Indiens ont toujours vécu de la même manière.»

On apprend beaucoup de choses lors de la visite, notamment que la culture du maïs aurait débuté vers 6000 ans av. J.-C. en Amazonie, à la frontière entre l'Équateur et la Colombie. 

«Les Amérindiens avaient une excellente connaissance de la nature. Ils étaient socialement organisés, notamment comme agriculteurs. Ils avaient des villages de 2 km de long sur les rives», explique Serge Lemaitre, conservateur des collections des Amériques aux Musées royaux d'art et d'histoire, à Bruxelles.

«Mais les maladies apportées par les Européens, la colonisation et l'exploitation de la forêt les ont décimés, dit Serge Lemaitre. On a seulement retrouvé des traces de ces villages, notamment des terres noires fertiles résultant de l'agriculture. Le néolithique a été très important en Amazonie.»

Photo David Boily, La Presse

Sous la reconstitution d'une maison communautaire amazonienne réservée aux festivités, on a placé 22 masques qui étaient utilisés pour inviter au centre du village tous les esprits de la forêt pour leur faire des offrandes afin qu'ils redeviennent bons. Les deux masques ci-dessus (un masculin, un féminin) sont réalisés avec des calebasses.

Collection unique

L'exposition bénéficie de l'expertise du Musée d'ethnographie de Genève, qui possède l'une des plus grandes collections européennes d'objets amazoniens anciens. Avec des objets du XVIIIe siècle (aussi vieux que 1758) qui ont été complétés à partir de 1955 grâce à diverses acquisitions dues notamment aux voyages de l'ethnologue genevois René Fuerst et au legs d'Oscar Dusendschön, producteur de caoutchouc de 1890 à 1913 à Manaus, au Brésil.

Le directeur du musée suisse, Boris Wastiau, réussit, dans cette exposition, à relier ce monde ancien à l'art contemporain avec les photographies de Claudia Andujar, artiste brésilienne d'origine suisse née en 1931. Il s'agit de montages qui suggèrent les voyages des chamanes lorsqu'ils sont en état de transe. Boris Wastiau a tenu à inclure Claudia Andujar dans cette exposition puisqu'elle est l'une des rares photographes du chamanisme à proprement parler et qu'elle travaille avec les chamanes de la même population yanomami depuis 1970.

«Le plus touchant, dit-il, c'est qu'elle est une survivante de la Shoah. Sa famille a été entièrement éliminée par les nazis. Elle a vécu avec ce sentiment de culpabilité qu'ont les survivants de la Shoah. Dans les années 70, sous le régime militaire brésilien, comme photojournaliste, elle a vu la poursuite d'un vrai génocide contre les Amérindiens d'Amazonie. Par les maladies, comme cinq siècles auparavant. On considérait les Amérindiens comme des animaux nuisibles. Elle a alors décidé ce jour-là que ce serait sa nouvelle famille.»

Amazonie - Le chamane et la pensée de la forêt va au-delà de la présentation d'artefacts. D'un niveau universitaire, l'exposition décline sur deux étages l'âme de communautés humaines fascinantes et riches d'enseignements, vivant dans une forêt tropicale mythique et menacée, tout comme elles, de disparition. 

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Au musée Pointe-à-Callière (350, place Royale, Montréal), jusqu'au 22 octobre.

Photo David Boily, La Presse

Bourse à talismans dans laquelle des Amérindiens du Brésil pouvaient conserver des objets liés à une expérience spirituelle. Fibres végétales, pierres diverses, lame en métal. Musées royaux d'art et d'histoire, Bruxelles.