Le photographe Harry Benson a couvert les assassinats de Martin Luther King et de Robert Kennedy. Il a infiltré un rassemblement du Ku Klux Klan. Il a rencontré 12 présidents des États-Unis. Et même s'il est devenu un proche collaborateur des Beatles, il a pris un cliché du meurtrier de John Lennon. Rencontre avec cet artiste de renom, qui était de passage à Montréal pour inaugurer la première exposition de ses oeuvres au Québec.

Dimanche dernier à New York, Harry Benson a reçu le prestigieux prix Infinity Awards pour l'ensemble de son oeuvre. Un prix amplement mérité pour ce passionné qui a immortalisé en images de nombreux événements et personnages marquants du XXe siècle. Au Québec, il a notamment couvert le fameux discours de Charles de Gaulle devant l'hôtel de ville de Montréal, en 1967.

«J'ai aussi photographié la famille Trudeau, vous savez?», dit le photographe, en anglais.

Dans la galerie Got Montreal, où une cinquantaine de ses photos sont exposées, il lance à sa femme: «Gigi, Gigi, Gigi ! J'aimerais lui montrer la photo de Margaret Trudeau. L'as-tu? »

Sa femme et gérante s'empresse de chercher le cliché, dans son ordinateur portable.

«Je suis chanceux d'être avec elle. Je sais qu'il y a des photographes qui ne peuvent pas accepter de couvrir des événements, parce que leur femme ne veut pas. Jamais Gigi ne m'a dit de ne pas aller quelque part», dit-il en donnant comme exemple les émeutes raciales aux États-Unis dans les années 60.

Quelques minutes plus tard, Gigi Benson se dirige vers nous pour nous montrer le portrait de la femme de l'ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Devant une maison de campagne, Margaret Trudeau pose aux côtés d'un de ses fils, nu, alors qu'il était très jeune. D'une main, elle cache les parties intimes de son petit garçon.

«Nous ne savons pas si c'est Justin Trudeau... Mais si c'est lui, cette photo vaut très cher!», dit en riant l'Écossais de 87 ans.

Les Beatles

Harry Benson peut se vanter d'avoir rencontré les plus grandes stars, dont Jack Nicholson, Amy Winehouse, Muhammad Ali, Michael Jackson, Winston Churchill, Andy Warhol, Dolly Parton et la reine Élisabeth II. Pourtant, à une certaine époque, il levait le nez sur ce genre de portraits dit «people». Et ce, jusqu'au jour où, en 1964, il a reçu un appel de son patron qui le priait de se rendre à Paris pour photographier les Beatles.

«Oh, je n'étais pas content ! Je m'en allais au Kenya pour prendre le pouls de ce pays qui avait obtenu son indépendance, un an plus tôt. Je me considérais tellement comme un grand photojournaliste, un big shot. Je ne voulais pas faire un groupe de rock», se souvient-il, en souriant.

Finalement, la chimie a opéré entre les Anglais et l'Écossais, si bien qu'il fut invité à couvrir leur première tournée aux États-Unis. C'est entre autres grâce à ces clichés que l'Amérique lui a ouvert les portes.

«Je voulais travailler pour le meilleur magazine. Nous avons donc déménagé aux États-Unis où nous vivons toujours», explique celui qui a travaillé pendant 30 ans pour le magazine Life.

L'assassinat de Robert Kennedy

Dans le documentaire Harry Benson: Shoot First, plusieurs personnalités expriment la confiance qu'ils ont pour le célèbre photographe. Le président des États-Unis Donald Trump y dit: «Je connais Harry depuis très longtemps. C'est un très bon photographe, très unique. Avec une imagination incroyable. Il rend les gens à l'aise et ça paraît dans son travail.»

Harry Benson reconnaît qu'il a obtenu la confiance de maintes personnes au fil de ses 60 années de carrière. Sauf qu'il précise qu'il s'est toujours fait un point d'honneur de ne jamais développer de lien d'amitié avec ses sujets.

«Je ne voulais pas être ami avec eux ! Parce que je ne voulais pas ensuite recevoir un appel où ils me disaient qu'ils ne veulent pas, par exemple, que la photo dans le bain moussant soit publiée. J'ai donc toujours gardé mes distances, même avec les Beatles.»

«Par exemple, Trump, j'ai pris des photos de lui et de sa femme. Elle était habillée d'une petite robe et elle a mis ses jambes autour de Donald. Elle n'était pas habillée correctement. Vous comprenez ce que je veux dire? Je veux dire, ce n'est pas comme ça qu'une première dame s'habille! Si j'étais leur ami, je n'aurais peut-être pas publié la photo.»

Il parle également de cette terrible nuit où Robert Kennedy a été assassiné. Proche collaborateur de la famille, il était dans la même pièce que le sénateur de l'État de New York lorsque ce dernier a été abattu. Là encore, malgré ses liens privilégiés avec la famille, il a décidé de photographier la scène.

«C'était un cauchemar, bien sûr. Et après, des photographes m'ont demandé comment j'avais fait pour oser photographier ça. Encore aujourd'hui, je vous avoue que je me réveille la nuit et je pense à ce meurtre. Mais je n'en fais pas un cauchemar. Par contre, si je n'avais pas fait la photo, j'en ferais des cauchemars, parce que je n'aurais pas fait mon travail», confie Harry Benson.

À quatre reprises, pendant l'entrevue, nous lui demandons comment il arrive à faire tomber les barrières entre lui et ses sujets. Juste avant de nous quitter, il chuchote cette réponse: «Je crois que les gens s'ouvrent rapidement à moi, parce que je m'habille mieux que la majorité des gens. Il y a plein de photographes qui vont à la Maison-Blanche habillés comme de la merde. Bien sûr, nous sommes la même personne que nous soyons habillés mal ou chic, mais je pense que j'ai plus de facilité à m'approcher des gens lorsque je suis bien habillé», dit Harry Benson.

Michael Jackson serait sûrement d'accord avec ces propos, lui qui adorait les habits de Benson. D'ailleurs, à trois reprises, le photographe lui a fait cadeau du veston qu'il portait, lors d'une séance photo. Pas une, pas deux, trois fois.

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À la galerie Got Montréal, jusqu'au 28 mai.