Originaire de la Guadeloupe, Eddy Firmin dit Ano achève un doctorat à l'UQAM en études et pratique des arts. Aimanté par la quête identitaire, cet artiste caribéen présente, jusqu'au 12 mars, des sculptures, des dessins, des masques, des installations et une vidéo qui évoquent notamment l'esclavage. Celui d'hier et celui d'aujourd'hui.

Eddy Firmin est un descendant d'esclave. Il est venu au monde sur une île où les affres de l'asservissement ne sont pas toutes évanouies. Tout son être a ainsi été rythmé par les rapports de forces et une volonté de scruter son héritage identitaire. Passionné d'écriture, de philosophie, de poésie, il s'intéresse à la «colonialité du savoir» et rejette le cadre occidental où la raison et l'ordre priment tout le reste. 

«Hors de ce cadre, toutes les autres pensées sont censées se soumettre, car la raison est l'objet de la peur de l'esclave, l'objet de son malheur», dit cet intellectuel de 47 ans. 

De ce fait, l'art d'Eddy Firmin dit Ano est une forme de résistance, d'affirmation et de réappropriation de ce que l'anthropologue brésilienne Lélia Gonzalez nommait l'«améfricanité». Une caractéristique culturelle partagée par les Américains (au sens géographique le plus large) d'origine africaine qui ne se reconnaissent pas vraiment dans l'héritage européen, qu'il soit latin ou anglo-saxon. 

«Ma culture a développé une forme originale de connaissance qui est entre le sensible et l'intelligible. Une façon d'être qui brouille la limite entre vie quotidienne et art.» 

La source du Gwoka

Se sentant proche d'artistes comme Michel Rovélas, Bruno Pédurand ou François Piquet, Ano puise ainsi dans la tradition du gwoka - une musique et une pensée caribéennes - pour créer. Il s'abreuve aussi à sa nouvelle existence québécoise qui le nourrit forcément depuis cinq ans. «J'ai trouvé ici une forte émulation multiculturelle, dit-il. Ça finit par t'imprégner. Plastiquement, je suis une éponge.» 

Il découle de cette variété un art figuratif riche et diversifié: dessins, peintures, sculptures, installations, vidéos, performances, vitraux, masques, poésie et livres-objets. 

À la Galerie Dominique Bouffard, on découvre, en entrant, la vidéo d'une performance qu'il a présentée l'an dernier dans les rues de Montréal. Il s'était promené avec, au cou, une sorte de collier d'esclave pourvu de branches télescopiques sur lesquelles étaient greffés des téléphones cellulaires qui le filmaient. Une oeuvre qui interroge notre dépendance à l'électronique, à l'informatique et aux réseaux sociaux, une facette d'un nouvel esclavage contemporain. 

Les autres créations d'Ano reflètent sa culture antillaise, avec des sculptures d'hommes noirs aux oreilles de lapin de Compère Lapin, un personnage de conte créole. Les oeuvres sont toutes accompagnées d'une série de signes qu'il a inventée, un alphabet qui les classe selon qu'elles parlent de «culture», de «fierté», d'«équilibre précaire» ou encore de «danger».

Le bien meuble

Une des sculptures d'un esclave en céramique est placée sur un meuble étagé en bois. Une façon d'indiquer que l'asservi était considéré comme un bien meuble. Un bien meuble au regard ambigu, à la fois apaisé et épuisé. 

Il y a aussi plusieurs dessins dans l'exposition. Des oeuvres qui témoignent de l'immense talent de cet artiste à l'imagination fertile mais savamment canalisée. Des oeuvres qui ne se réfèrent pas qu'à sa quête identitaire, la croisant aussi avec l'histoire de l'art. Le Caravage, La Vierge à l'Enfant ou Léonard de Vinci. 

Les oeuvres d'Ano examinent l'homme livré à lui-même et dont le passé a été effacé. Elles interrogent notre réalité globalisée, encadrée par l'internet, qui tend à unir les individus, mais aussi à morceler les groupes, livrant de nouveau l'homme à lui-même. L'artiste caribéen, qui compte s'installer au Québec, veut participer à «l'émancipation de l'homme». 

«L'homme d'aujourd'hui est en train de devenir l'esclave du travail, dit-il. C'est comme si l'on avait reconditionné les vieux systèmes. Mon travail, c'est aussi de dire "on doit faire attention". L'émancipation de l'homme, c'est ce qui est le plus important pour un artiste. Je ne pense pas qu'on puisse être plus utile à autre chose qu'à ça...» 

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Égoportrait ou l'errance des oiseauxd'Eddy Firmin dit Ano, à la Galerie Dominique Bouffard (372, rue Sainte-Catherine Ouest, espace 508), jusqu'au 12 mars. Mercredi, jeudi et vendredi, de 11 h à 18 h; samedi et dimanche, de 12 h à 17 h.

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

Oeuvre en céramique, bois, plastique et verre de 26 cm x 30 cm x 20 cm créée par Eddy Firmin dit Ano l'an dernier et exposée, jusqu'au 12 mars, à la Galerie Dominique Bouffard, à Montréal.