Le Musée d'art contemporain (MAC) présente la plus importante exposition en Amérique du Nord à ce jour de l'artiste mexicaine Teresa Margolles, qui a représenté son pays à la Biennale de Venise en 2009. Troublante d'actualité.

Agenouillée au sol, une jeune femme creuse de ses doigts nus un mur de gravats. Elle pleure. Une passante lui offre un mouchoir. Plongée dans des pensées obscures, sans doute, la jeune femme sursaute, puis la remercie, essuie ses yeux et recommence à creuser minutieusement. 

Cette scène aurait pu se dérouler n'importe où à la suite d'un tremblement de terre ou d'un bombardement en zone de guerre. Elle s'est produite lors du vernissage de l'exposition Mundos de Teresa Margolles au Musée d'art contemporain mercredi soir dernier.

L'artiste mexicaine a construit au MAC un mur de 16 mètres de long, pesant 22 tonnes, avec les restes d'une maison qui allait être rasée à Juárez dans le nord du Mexique. Cette ville où les femmes tremblent jour et nuit, de peur de voir leur corps et leur âme exploités, bombardés, déchiquetés.

En 2010 à Juárez, 300 femmes disparaissaient ou étaient assassinées tous les mois, dit Teresa Margolles. Pendant son séjour à Montréal, cette semaine, son appartement mexicain a été saccagé. Récemment, deux de ses collaboratrices ont été tuées.

«Les gens qui vivent là tout le temps sont davantage en danger, dit-elle en entrevue. Moi, j'ai la chance de pouvoir sortir du pays. J'ai peur. J'aurai toujours peur, mais d'une certaine manière, je me suis préparée à mourir. Ce n'est pas une raison pour arrêter de faire ce que je fais. Je ne peux pas arrêter.» 

«C'est une ville qui a besoin de nous, ajoute-t-elle. En 2010, ils ont rasé le centre historique. Tout n'était que poussière. La situation s'est un peu calmée, mais la violence revient maintenant. C'est une rechute. La maladie n'a pas disparu.»

Comment parler de cette violence, comment la raconter de façon artistique? Teresa Margolles crée un art minimaliste où tout est laissé à l'imagination du spectateur.

Fil de mort

Dans la plus grande salle du musée, une simple corde en coton est tendue d'un bout à l'autre de la pièce. La violence n'est pas apparente dans cette oeuvre intitulée 36 cuerpos (36 corps). Mais ce fil de mort a, en fait, servi à recoudre les cadavres d'inconnus morts à Juárez.

Teresa Margolles y est allée la première fois en 2006 pour tenter de retrouver des femmes séquestrées. Elle le faisait comme artiste de performance, ce qu'elle reste toujours et ce qui lui fait dire qu'elle n'est pas une militante.

«Quand je vois le travail des militants, qui est si intense, si actif, je ne peux pas me comparer à eux, dit-elle. Je peux m'évader dans la poésie, je peux rêver. Les militants sont dans la réalité absolue.» 

«Je ne peux que déclarer mon admiration aux femmes de Juárez. L'art ne peut pas arrêter une balle de fusil.»

Pour approcher au plus près de la mort, elle a donc suivi un cours de technicienne légiste et s'est fait embaucher par la morgue de Juárez.

«Je voulais raconter l'horreur, celle des familles qui attendent leurs proches disparus, celle des corps décapités, massacrés, torturés. À la morgue, c'est le corps social de la ville que j'ai découvert.»

Bouleversant

Mundos est sans aucun doute l'une des expositions les plus bouleversantes présentées à Montréal depuis 10 ans. La proposition de l'artiste mexicaine nous place face à l'indifférence des riches dans cette guerre des mondes larvée entre le gouvernement et les narcotrafiquants, entre exploiteurs et exploités qui travaillent pour des salaires de famine dans des maquiladoras (petites usines d'assemblage). 

Au même endroit, d'autres sociétés bien connues chez nous, comme Electrolux et Bombardier, y exploitent de plus grandes installations encore. 

«Electrolux s'est installée en plein désert. En soi, c'est dangereux pour les femmes qui vont y travailler le jour et la nuit, car l'usine est ouverte 24 heures sur 24. Comment le gouvernement a-t-il pu permettre une telle chose?» 

L'exposition montre une vidéo d'un camion épandant sur la chaussée d'une route américaine de l'eau ayant servi à nettoyer les cadavres de la morgue de Juárez. Juste retour des choses pour l'artiste qui parle de coresponsabilité à assumer par les pouvoirs économiques. 

«Juárez est un symbole d'exploitation et de manque de sensibilité sociale, politique et humaniste de la part d'usines qui ne pensent ni aux femmes disparues, ni à leurs enfants, ni aux grands-mères qui doivent s'en occuper.»

Au MAC, on peut aussi voir une série de photos que Teresa Margolles a réalisées en 2016 avec des prostituées transgenres qui se tiennent debout, résistantes, sur les anciennes pistes de danse d'un quartier populaire.

«Ils ont rasé le centre-ville parce qu'à leurs yeux, les boîtes de nuit et les bars sont synonymes de criminalité. Pour les jeunes femmes qui travaillent comme des esclaves dans les maquiladoras, c'était leur seul divertissement.»

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L'exposition Mundos de Teresa Margolles est présentée au Musée d'art contemporain jusqu'au 14 mai 2017.

Photo fournie par la Galerie Peter Kilchmann, Zurich, avec l’aimable permission de l’artiste

La Promesa, de Teresa Margolles. Bloc sculptural réalisé à partir des décombres pulvérisés d'une maison démolie à Juárez, au Mexique.