L'ancien pénitencier pour femmes Bayview ne partage pas vraiment le vernis chic et branché des galeries d'art avoisinantes du quartier Chelsea, à Manhattan. La célèbre photographe Annie Leibovitz a pourtant choisi cette vieille prison à la peinture écaillée et à l'aura d'austérité pour l'escale new-yorkaise de son exposition itinérante Women: New Portraits qui, depuis janvier 2016, se pose dans 10 villes de la planète.

Réalisée en complicité avec la militante féministe Gloria Steinem, cette expo arrive à point nommé, alors que la frange progressiste et libérale de New York tremble encore sous le choc de l'élection de Donald Trump.

«Ce n'était pas du tout l'idée que nous nous étions faite de cette semaine. Mais tenez-vous-le pour dit: la journée d'aujourd'hui est une célébration. Une célébration sombre, émotive et qui invite à la réflexion. Il y a tant de choses à discuter!», a affirmé Annie Leibovitz à la mi-novembre, lors du lancement de cette exposition commandée par la fondation UBS, que les New-Yorkais peuvent découvrir gratuitement jusqu'au 11 décembre.

La complexité féminine

Entourée notamment de sa soeur cinéaste Barbara Leibovitz (qui prépare un documentaire sur cette expo) et de Safeena Husain, fondatrice de l'ONG Educate Girls, qui a parlé de son oeuvre de scolarisation des jeunes filles au Rajasthan, Annie Leibovitz affichait une expression faciale qui suggérait «the show must go on».

Accrochés au mur du fond d'une grande salle, des portraits des championnes de tennis Venus et Serena Williams, de la femme de lettres Susan Sontag, de l'artiste de performance Marina Abramović, de l'auteure Joan Didion, de la chanteuse Adele, de la militante pakistanaise Malala Yousafzai, de la comédienne Amy Schumer, de l'héroïne politique Aung San Suu Kyi, de la primatologue Jane Goodall et de la ballerine afro-américaine Mitsy Copeland sont autant de déploiements de la complexité féminine.

«Annie Leibovitz dépeint les femmes dans toutes les variétés humaines, tant la simplicité que l'artifice, la bravoure que la peur, la créativité de l'esprit que celle du ventre...», affirme Gloria Steinem, militante féministe.

Dans un agencement sans fioritures, ce projet artistique, qui a pris racine en 1999, donne l'impression de se retrouver dans l'atelier de travail d'Annie Leibovitz.

À droite des portraits, l'artiste a même collé quelques papillons (Post-it) où sont inscrits les noms d'Angela Merkel, de Chimamanda Ngozi Adichie et de quelques autres femmes qui figurent sur la «liste de souhaits» de la photographe.

Un hommage aux femmes qui prend une dimension presque militante, avec un portrait de la candidate défaite à l'élection présidentielle Hillary Clinton, souveraine à son bureau d'ex-secrétaire d'État et accompagnée d'un ouvrage portant le titre prophétique Never Give Up...

«Pour moi, ce projet est comme photographier l'océan: ça ne se termine jamais!», a lancé Annie Leibovitz.

Militantes et artistes, debout!

Réponse au climat politique ambiant : un écran déployant divers portraits de la reine Élisabeth II a été remplacé par un diaporama de photos d'Hillary Clinton en campagne électorale, ponctué de clichés des Obama.

Lors de cette matinée de presse en présence d'Annie et ses femmes, on percevait résolument une atmosphère de «plus que jamais, il faut se serrer les coudes» entre les murs chargés d'histoire de l'ex-prison Bayview. D'ici 2020, cette ancienne prison sera convertie en Women's Building, avec notamment une galerie d'art, un restaurant et un espace pour des activités de justice sociale pour les femmes.

À propos du choix des femmes photographiées, Annie Leibovitz dit qu'elle a dressé «une courte liste, en réfléchissant aux femmes présentes dans notre inconscient collectif». Après consultation avec Gloria Steinem, cette liste a pris une dimension kilométrique.

Le rôle de l'icône du féminisme américain dans ce projet photographique itinérant, qui prend une forme différente dans chaque ville visitée, est central à la proposition artistique de Women: New Portraits. Un texte de Steinem qui, dans chaque ville, anime des «cercles de discussion» en compagnie de Leibovitz, évoque les millions de femmes brûlées pour sorcellerie, fait référence à l'absence de pronoms féminins dans les langue cherokee, bengali, luo et yoruba, suggère un monde plus axé sur la coopération que la compétition...

«Ce que nous partageons comme humains est beaucoup plus grand que ce qui nous divise. Nous sommes liés, pas classés en rangs.»

Photo Casey Kelbaugh, fournie par la Fondation UBS

L'exposition WOMEN: New Portraits d'Annie Leibovitz, commandée par la Fondation UBS, se tient dans l'ancien pénitencier pour femmes Bayview.