Battat Contemporary présente, jusqu'au 28 janvier, sa première expo solo de l'artiste Patrick Bernatchez. Les glaciers laisse voir plusieurs nouvelles oeuvres, des installations, des dessins, des miroirs gravés et un cyanotype. Les fruits d'une imagination éclatée, d'une adresse évidente et d'une application remarquable. Un arrêt hautement recommandé.

Lui qui nous a habitués à des oeuvres massives et à des projets sonores et vidéo de grande ampleur, on retrouve, avec Les glaciers, un Patrick Bernatchez plus viscéral et tout aussi habile pour entrelacer des idées qu'il décline à foison.

Comme un Nicolas Baier ou un Michel de Broin, Bernatchez joue et construit à partir de réflexions aiguës. S'ajoutent des intuitions, des lectures, des recherches et des envies antérieures qui refont surface. Entamant un nouveau cycle de quatre ou cinq ans de travail, il a combiné intérêts récents et plus anciens pour élaborer un nouveau corpus lors de quelques semaines d'intériorité et de concrétisation passées au bord d'un lac. 

Des lectures de Merleau-Ponty et Descartes. Une faiblesse pour Gustave Courbet. L'intrusion régulière (à son corps défendant) de Jacques Lacan sur son chemin. Un travail sur la lumière. Et sa découverte d'un ouvrage scientifique du XIXsiècle écrit par un vulgarisateur, Amédée Guillemin, et consacré à la glaciologie. Duquel il a conservé, comme matériau à modeler, la caractéristique du glacier d'estomper son inéluctable propension à avancer. En tout cas, tant qu'il en existe sur notre gros caillou qui s'échauffe. 

L'île des morts

En même temps, Patrick Bernatchez a associé à ses divagations sur la cryosphère le souvenir d'un tableau romantique d'Arnold Böcklin, L'Île des morts (Die Toteninsel), où Charon, le nocher des Enfers, transporte un défunt sur une barque vers le séjour des morts. Toile redécouverte par Bernatchez lors de l'exposition Melancholy à la Neue Nationalgalerie de Berlin, en 2006.

La mélancolie, c'est revoir Garbo dans la reine Christine, chantait Ferré. Pour Bernatchez, c'était voir surgir dans sa tête un livre d'art de son enfance. La mémoire est au coeur de l'expo. 

En référence aux cinq versions que Böcklin a peintes de L'Île des morts durant sa vie, Bernatchez a dessiné cinq fois la même scène, avec des variantes, puis a brûlé l'un des cinq dessins, en référence à la version de L'Île des morts qui aurait été détruite lors d'un bombardement de la Seconde Guerre mondiale.

Aimée, soeur de Maman 

Au centre de la galerie, il a placé Aimée. Une sculpture créée avec une petite table sur roulettes, une lampe de bureau, une boule et sept queues de billard. Une sorte d'araignée (on pense évidemment à Maman, de Louise Bourgeois), amputée d'une patte et qui se meut doucement grâce à un moteur intégré. 

Pourquoi Aimée? Parce que c'est le pseudonyme que Lacan a utilisé dans sa thèse de doctorat pour décrire le cas d'une femme qu'il avait soignée. Femme qui donna naissance au psychanalyste Didier Anzieu. On est loin des glaciers et de la mémoire? Pas tant que ça, puisqu'Aimée bouge à vitesse très lente grâce à une mémoire numérique pour laquelle Bernatchez a bénéficié de l'aide de Jean-Pierre Gauthier, maître ès cinétique devant l'Éternel. 

Rien ne se perd... 

L'exposition chez Battat illustre aussi le génie recycleur de Bernatchez. Avec une vieille valise de vendeur de néons, il a concocté une oeuvre lumineuse et réfrigérée scellée sur un vieux bureau. Ou encore, il a assemblé et enjolivé des miroirs pour que d'une grande plaque de verre naissent des cyanotypes. Il expose la génitrice constituée de 35 triangles de verre gravés au laser (à partir d'un dessin original agrandi)... derrière une petite barrière muséale pour en faire un objet unique. 

Le cyanotype de plus de 2 m sur 1,50 m qu'il en a tiré évoque un crâne humain. Mais l'apparente vanitas est, en négatif, l'agrandissement de ce dessin romantique dont il a créé cinq versions, imprimé sur une toile rappelant le tapis feutré d'un billard. Un résultat qui laisse pantois.

Enfin, piste d'avenir pour lui, l'oeuvre Aphélie a été réalisée sur les lieux de sa première exposition, dans les années 90, à Rouyn-Noranda. Il s'agit d'une démarche sur la lumière effectuée lors d'une résidence au centre d'artistes L'Écart. Il y a créé, une fois par jour pendant une semaine, des halos noirâtres qui découlaient de l'impression des rayons du soleil sur du papier photosensible en utilisant notamment le sténopé. 

Les cadres résultant de cette expérience font partie de l'installation Aphélie, du nom du point le plus distant de deux astres dans leur course orbitale. Première étape d'un ensemble exploratoire vers lequel Patrick Bernatchez compte graviter prochainement. On n'en doute pas une seconde. 

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Les glaciers, de Patrick Bernatchez, à la galerie Battat Contemporary (7245, rue Alexandra, Montréal), jusqu'au 28 janvier. La galerie sera fermée du 24 décembre au 9 janvier.

Photo David Boily, La Presse

Les glaciers-sans titre, 2016, Patrick Bernatchez, cyanotype, 218,4 cm x 152,4 cm.