Que signifie être Noir aux États-Unis? En dépoussiérant le passé sombre de l'Amérique, c'est en substance à cette question identitaire, politique et sociétale qu'ambitionne de répondre le nouveau musée de l'histoire afro-américaine, que va inaugurer samedi le président Barack Obama.

La réflexion qu'entend susciter le Musée national de l'histoire et de la culture afro-américaine (NMAAHC) revêt une importance cruciale à quelques semaines de l'élection présidentielle, dans un pays secoué à intervalles réguliers par les tensions raciales.

Le premier président noir des États-Unis doit prononcer un discours avant d'inaugurer l'imposant bloc moderne paré de bronze sur le National Mall, grande artère au centre de Washington.

L'édifice, un projet centenaire, se divise en deux parties: la première souterraine, consacrée à l'histoire et l'émancipation des Noirs, la seconde, aux étages supérieurs, à la culture et à la société.

Casque noir et gants rouges aux cuirs craquelés de Mohamed Ali, veste noire brillante de Michael Jackson, voiture verte d'un train qui opérait sous la ségrégation... Les objets hautement symboliques sont nombreux parmi les milliers qui ornent le musée.

Mais «comment raconter l'indicible», demande Nancy Bercaw, commissaire de l'exposition «esclavage et liberté», située au niveau le plus bas.

En «créant des espaces» et une «tension» entre les objets juxtaposés, reprend-elle, comme ce violon et ces chaînes, pour montrer que «la vie ne se résume pas à travailler ou être esclave».

L'histoire de l'esclavage, qui a pris fin officiellement en 1865 sur les braises de la guerre de Sécession, est «la racine de là où nous en sommes aujourd'hui», explique Nancy Bercaw, devant une cabane d'esclaves acheminée depuis une ancienne plantation en Caroline du Sud.

«Si vous marchez dans la rue, le fait que vous puissiez être arrêté simplement en raison de votre apparence (...) est une pratique qui a 200 ans en Amérique», relève-t-elle en allusion aux brutalités policières actuelles. «Certaines de ces habitudes se poursuivent dans notre culture parce qu'elles étaient légalement fondées au commencement de cette nation».

Le poids du passé

L'exposition sur la ségrégation raciale, où des portraits de Malcolm X ou Rosa Parks - qui refusa de céder sa place à un passager blanc dans un bus de l'Alabama en 1955 - côtoient une cagoule blanche du Ku Klux Klan ou de terribles photos de Noirs pendus les mains liées, entend également «raconter toute l'histoire» avec ses «hauts et ses bas», note Spencer Crew, commissaire.

Celle sur la lutte des Noirs pour leurs droits civiques, qui évoque le combat du pasteur baptiste Martin Luther King, l'émergence du «Black Power» ou encore les «Black Panthers», offre aux visiteurs un trait d'union avec l'actualité.

Le mouvement Black Lives Matter, qui dénonce les brutalités policières, y est par exemple représenté et un écran tactile permet de se documenter sur les récentes fusillades qui ont visé des Noirs.

L'exposition témoigne de la diversité de l'activisme durant cette période. Comme ce Noir de 18 ans qui évoque au dos d'une photo sa vie de soldat au Vietnam. En face, un portrait de Mohamed Ali, qui avait refusé de servir dans l'armée. «Cela fait un contrepoint et suggère qu'il n'y a pas une seule façon d'être Noir dans ce pays», résume William Pretzer, un autre commissaire.

Le musée «répond à un besoin urgent d'expliquer les trajectoires complexes, les accomplissements et la persévérance presque impossible que les Noirs incarnent», pour faire évoluer le récit que fait l'Amérique de sa propre histoire, estime Thomas DeFrantz, responsable des études afro-américaines à l'Université Duke.

Surtout, juge-t-il, cela pourrait contribuer à faire baisser la température après des années de tensions raciales exacerbées par l'enchaînement des bavures policières.

Même s'il ne sera pas un remède miracle à plusieurs siècles de racisme et de discriminations. «Il ne pourra rien», déplore Thomas DeFrantz, «pour cette policière blanche qui a abattu un homme noir non armé à Tulsa (vendredi), tant qu'elle ne comprendra pas la source de sa peur et de son reniement abject de l'Homme noir».

Que pèsent alors les statues de Michael Jordan ou la trompette de Louis Armstrong, parmi les symboles affichés de la contribution des Noirs dans l'histoire américaine, face au poids du passé?

Le musée montre «que les Noirs étaient là depuis le début» et que les générations actuelles se sont construites sur cet «équilibre entre oppression et combat contre l'oppression», analyse Paul Gardullo, responsable d'une exposition culturelle.

«L'identité afro-américaine est complexe. Elle est différente selon la région où vous vivez et à travers le temps. Il n'y a pas une seule identité» noire aux États-Unis, résume-t-il. «Mais l'histoire des afro-américains est centrale dans l'histoire américaine».