Cinéaste et artiste visuelle émergente aux origines bretonnes et algonquines, Caroline Monnet s'intéresse à l'identité autochtone et à la réalité biculturelle. Elle vient d'être sélectionnée par le Festival de Cannes pour une résidence de production de son premier long métrage. La Presse l'a rencontrée à Gatineau, où elle présente sa première exposition solo d'envergure jusqu'au 3 août.

Caroline Monnet porte deux casquettes et elle aime ça! «J'ai besoin de jongler entre cinéma et arts visuels et je n'ai pas l'intention de choisir», dit-elle en entrevue.

Pourtant, elle pourrait s'emballer. L'artiste de 31 ans vient d'obtenir une résidence à Paris, à la Cinéfondation du Festival de Cannes, pour écrire son premier long métrage, Bootlegger. Le projet, sélectionné par le CineMart de Rotterdam et le marché de coproduction du Festival de Berlin, est soutenu par la SODEC et Téléfilm Canada. La résidence, dont bénéficient chaque année 12 cinéastes internationaux, aura lieu d'octobre à février prochains.

«Cette résidence, c'est hallucinant! C'est comme avoir un pied dans la porte du Festival de Cannes, comme entrer dans la famille. C'est fou!»

Marchant avec assurance et pragmatisme dans les pas de Xavier Dolan, Caroline Monnet tournera Bootlegger au Québec à la fin de 2017. «C'est l'histoire d'une femme qui trafique des boissons alcoolisées dans une réserve où l'alcool est interdit, dit-elle. Un sujet sensible sur ma communauté, mais j'aime bien déranger!»

Une dizaine de courts métrages

Caroline Monnet s'est orientée vers le cinéma et les arts plastiques après des études en sociologie et en communication. Un séjour à Winnipeg, de 2006 à 2011, a été déterminant pour elle: l'artiste y a découvert une communauté autochtone effervescente. «C'était la première fois que j'étais fière de crier que j'étais autochtone», dit-elle.

Elle y a réalisé son premier court métrage, Ikwé. Un dialogue entre une jeune femme autochtone et sa grand-mère qui lui transmet des enseignements sur la vie.

L'artiste algonquine a depuis tourné une dizaine de courts métrages dont une fiction, Roberta, avec Marie Brassard, l'an dernier. Son court métrage Mobiliser a été présenté à Toronto l'an dernier et à Sundance en janvier. Elle y explore la tension entre les modes de vie traditionnel et moderne des autochtones.

Père breton, mère algonquine

Animée par un désir d'accomplissement, Caroline Monnet a grandi en Outaouais et vécu en France. «Les séjours en Bretagne m'ont ouverte sur le monde, dit-elle. J'ai eu une éducation très française et un métissage culturel très présent.» 

Ses racines autochtones ont pris le dessus dans son expression artistique.

«Être autochtone aujourd'hui, c'est politique. Il y a un besoin de l'exprimer pour prendre notre place. Je pourrais revendiquer mes origines françaises, mais je n'aurais pas l'impression que je contribuerais à grand-chose.»

En entrevue, elle se réfère souvent à sa mère originaire de la réserve algonquine de Kitigan Zibi, à 130 kilomètres au nord de Gatineau, et qui vit à Aylmer avec son père. Caroline Monnet se définit comme une artiste autochtone qui veut donner une voix aux autochtones.

«Comme jeune femme autochtone, j'ai la responsabilité de briser le cycle des traumatismes et de la victimisation et d'avancer», affirme-t-elle.

Comme elle l'exprime dans Ikwé, la mémoire collective de ses ancêtres lui «colle à la peau» et l'inspire pour créer des oeuvres qu'elle a déjà présentées à Paris, Berlin, Cannes, Toronto et au Royaume-Uni.

Passionnée d'architecture

Artiste visuelle passionnée d'architecture, elle utilise des matériaux industriels, du bois ou du cuivre pour montrer les liens entre nature et urbanité, entre autochtones et non-autochtones. En 2014, elle avait créé à l'Arsenal une installation avec un vieux bureau qu'elle avait détruit à coups de flèches, une performance qu'elle avait filmée. 

Au centre d'artistes AXENÉO7, où elle a été en résidence en mai, son exposition Dans l'ombre de l'évidence aborde la place des femmes autochtones au Canada.

Une de ses oeuvres, La guerrière, a été créée avec le New-Yorkais Mark Jenkins. Il a moulé son corps. Elle a coulé du ciment avec des vêtements dans les moules. La sculpture évoque les 1200 femmes autochtones disparues, tout comme ses bustes créés avec des minijupes et du béton. Chaque buste porte le nom d'une femme disparue, dont deux de la réserve d'où est originaire sa mère. 

L'installation est accompagnée d'une vidéo dans laquelle Caroline Monnet transporte un bloc de glace sur un traîneau traditionnel, un travois. Une vidéo sur l'idée de migration. Par ses oeuvres, elle dit vouloir créer des ponts.

«J'essaie de rassembler puisque je suis le produit d'un pont entre autochtone et non-autochtone. J'ai envie d'être dans la fraîcheur et la célébration plutôt que dans la lourdeur. J'essaie d'apporter une certaine fierté.»

Heureuse d'habiter à Montréal, elle trouve que la métropole a encore «du chemin à faire» en ce qui a trait à la cause autochtone. «Mais il y a une émergence pour faire bouger les choses», dit-elle. Émergence dont elle est un des fers de lance.

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Dans l'ombre de l'évidencede Caroline Monnet, au centre d'artistes AXENÉO7 (80, rue Hanson, Gatineau) jusqu'au 3 août.

Photo Scott Berwick, fournie par l’artiste

S’intéressant à l’identité autochtone et à la réalité biculturelle, Caroline Monnet vient d’être sélectionnée par le Festival de Cannes pour une résidence de production en vue de son premier long métrage, Bootlegger.