Kandinsky, Pollock, Rothko, Calder: à travers les artistes protégés par Peggy Guggenheim, à la suite de son oncle Solomon, c'est tout l'art contemporain des années 1920 aux années 1960, son va-et-vient entre États-Unis et Europe, qui sera exposé dès samedi à Florence.

L'exposition, intitulée de Kandinsky à Pollock: le grand art des Guggenheim et hébergée jusqu'au 24 juillet dans le palais Strozzi, raconte en un parallèle inédit et extraordinaire les rapports artistiques entre l'oncle et la nièce, dont la vision et l'amour de l'avant-garde changèrent la face de l'histoire de l'art au XXe siècle.

Peggy Guggenheim (1898-1979) «ne faisait pas qu'acheter des oeuvres, elle pariait sur de jeunes artistes, elle les soutenait, grâce à un instinct artistique et une curiosité incroyables», explique le commissaire de l'exposition, Luca Massimo Barbero.

Ne cédant à «aucune compromission», douée d'un goût très sûr, passionnée en particulier par le surréalisme, l'excentrique Peggy protégea tant d'artistes européens et américains, dont elle acquit les oeuvres ou les fit connaître, que la liste donne le tournis.

Kandinsky, Duchamp, Max Ernst (qui fut son mari de 1941 à 1946), Jean Dubuffet, Lucio Fontana, Jackson Pollock, Mark Rothko, Alexander Calder, Willem de Kooning, Roy Lichtenstein, Cy Twombly...

En tout, une centaine d'oeuvres sont présentées, la majorité provenant des musées Guggenheim de New York et Venise, dont 26 font partie d'une exposition que la collectionneuse américaine avait organisée en 1949 dans ce même palais Strozzi pour faire connaître ses artistes préférés à l'Italie, et à l'Europe.

À travers ces oeuvres, toute l'histoire des passages de relais artistiques et créatifs entre l'Europe, où elle a débarqué en 1921, et les États-Unis, où elle a été contrainte de retourner en 1941 avant de s'installer définitivement à Venise en 1949, s'écrit sous nos yeux.

Ce n'est pas un hasard si l'une des premières oeuvres que s'offre Peggy est un tableau du maître italien de la peinture métaphysique Giorgio de Chirico, Il pomeriggio soave, peint en 1916.

«Peggy voulait comprendre l'effervescence artistique qui existait alors en Europe, elle s'y est donc tout simplement installée», explique M. Barbero. Elle vit alors à Paris d'extraordinaires instants parmi ces poètes, écrivains, peintres et sculpteurs, dont elle est la mécène autant que l'égérie.

Parmi ses coups de coeur de l'époque figurent deux sculpteurs majeurs de l'entre deux-guerres: Giacometti, avec sa Dame qui marche, et Brancusi, et son Oiseau dans l'espace.

Ainsi qu'un poignant Picasso, Songe et mensonge de Franco, datant de 1937.

Bouillonnement créatif

Mais «la guerre arrête tout», poursuit M. Barbero. De collectionneuse mondaine, Peggy Guggenheim se transforme en mère protectrice de ses amis artistes menacés par le nazisme.

«Elle payait des billets de bateau, de train», précise le commissaire de l'exposition. Elle-même ne s'enfuit qu'en 1941. Une étonnante «boîte-en-valise», à l'intérieur de laquelle Marcel Duchamp a reproduit en miniature quelques-unes de ses plus fameuses créations, rappelle cet épisode.

Ceux à qui elle permit de se réfugier aux États-Unis influencèrent profondément l'art américain.

Jackson Pollock, dont pas moins de 18 tableaux sont exposés, fut de ceux qui profitèrent de ce bouillonnement créatif.

En 1943, lui qui s'était imprégné très rapidement de Miro et Picasso fut le seul à qui Peggy signa un «contrat» assorti d'une rente mensuelle, lui permettant de se dédier entièrement à son oeuvre typique de l'expressionnisme abstrait. Grâce à sa technique du «dripping», il révolutionna l'art de l'après-guerre.

Une salle de l'exposition présente aussi un côté plus intime et rarement montré de la collectionneuse: les tableaux qu'elle conservait dans sa résidence vénitienne du Palazzo Venier dei Leoni, dont une fascinante Étude pour un chimpanzé (1957) de Francis Bacon, accrochée dans sa chambre à coucher.