Dans le cadre d'un partenariat entre la Fonderie Darling et le Musée des beaux-arts de Montréal, Mathieu Beauséjour a obtenu carte blanche pour s'exprimer dans deux salles de l'institution de la rue Sherbrooke. Sa double exposition Les formes politiques découle d'une réflexion sur la marginalité.

Après ses expositions Le soleil invincible et La banque du soleil, Mathieu Beauséjour poursuit son épopée artistique au sein de la galaxie capitaliste. Contrôle, soumission, obsession du secret, dérive droitière: ses oeuvres nous parlent d'une réalité où politique et économie sont tissées serré.

Saisir le langage conceptuel de cet artiste de 45 ans exige une réflexion obstinée. Une fois entré dans son univers conceptuel, on découvre que même les formes abstraites peuvent devenir politiques et donner des coups de patte...

L'exposition Les formes politiques découle d'un travail de quatre mois de Mathieu Beauséjour dans son atelier de la Fonderie Darling. Elle émane d'une réflexion du créateur sur la crise qu'a connue l'Europe en juin dernier, quand la Grèce s'est fait dire par les banques et l'Union européenne qu'elle était en marge de leurs normes financières.

La marge intéresse Mathieu Beauséjour. Il avait constaté, durant la même période, que la sonde américaine New Horizons s'était approchée à 180 000 km de Pluton, astre situé en marge du système solaire et considéré, en plus, comme en marge de la définition même de planète. L'artiste a senti qu'il y avait là un filon...

Deux expos en une

Mathieu Beauséjour a déployé au musée les fruits de ses observations sous deux formes. La première se concrétise près de l'entrée du pavillon Michal et Renata Hornstein, dans la salle de l'art méditerranéen avec ses belles sculptures et poteries de l'Antiquité, notamment de Grèce et de Chypre. 

Mathieu Beauséjour a infiltré la scénographie des lieux, insérant ses oeuvres dans des vitrines, parmi les amphores, assiettes et autres vases. Ses petites sculptures reprennent un motif décoratif d'inspiration grecque appelé méandre, que l'on trouve en marge de l'architecture classique du pavillon du musée. L'artiste a ainsi dessiné le mouvement des méandres, les reproduisant notamment avec des gommes à effacer noires.

Son étude sur la marge se prolonge au sous-sol du pavillon Jean-Noël Desmarais avec des graphiques, des impressions numériques et une animation GIF. Il y a réalisé Banks, une oeuvre murale géométrique qui associe huit numérisations créées à partir de photos de façades de banques qu'il a prises à Londres et à Francfort.

Les façades vitrées sont sobres mais réfléchissent un soleil auquel, comprend-on, se brûlent ces impudents Grecs qui défient les lumières des technocrates de Bruxelles. Au-delà de la symbolique, l'artiste a associé ses éléments photographiques pour former une sorte de roue en révolution autour d'un axe, ce qui donne à l'ensemble un aspect... de méandre grec. Abstraction critique, oui, mais Beauséjour ne perd jamais le nord!

Travail de moine

Ce mouvement circulaire de Banks, Mathieu Beauséjour l'a ensuite reproduit dans une série de 16 dessins exécutés à la mine de graphite intitulée La marge et les formes politiques. Il y a pourtant occulté toute marge et tout centre en donnant à l'ensemble un aspect «nuit noire» d'espace-temps. Un travail de moine effectué avec délicatesse au compas sur papier noir.

Au fond de la salle, une animation GIF, Le vol de l'aigle, montre un personnage sombre à l'allure militaire, voire fascisante, construit de façon symétrique et écartant ses bras ailés à la manière d'Icare.

Le dieu du pouvoir et de l'ambition démesurée que Mathieu Beauséjour a déjà évoqué dans d'autres corpus, notamment dans son oeuvre Icarus: Acéphale, exposée lors de la Triennale québécoise en 2011.

Aigle et pouvoir. Le thème est également abordé dans la salle de l'art méditerranéen avec une série de pièces de monnaie d'une vingtaine de pays qui ont toutes un aigle en effigie.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL

Le vol de l'aigle, 2015, Mathieu Beauséjour, animation GIF

La Kunée et l'invisibilité

Dans Les formes politiques, Beauséjour reprend aussi ce graphisme d'enveloppes bancaires qu'il affectionne tant, des motifs qui visent à assurer la confidentialité des informations qu'elles contiennent. 

Cette fois-ci, il l'a décliné en réalisant huit impressions numériques aux allures de casque. La fenêtre qui permet de voir l'adresse du destinataire de l'enveloppe ressemble à la lunette d'un casque de moto futuriste. Mais le casque qu'a réellement choisi Mathieu Beauséjour dans cette oeuvre, c'est au contraire la kunée des Cyclopes, cette coiffe antique qui donnait, dans la mythologie grecque, un pouvoir d'invisibilité à celui qui le portait. 

Invisibilité et confidentialité. L'illustration d'un système inaccessible et protégé, à la fois en marge et contrôlant toutes les marges.

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Au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu'au 12 juin.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Banks associe huit impressions numériques créées à partir de photos de façades de banques de Londres et Francfort. Chacune forme une sorte de roue en révolution autour d'un axe, donnant un aspect de méandre grec.