Une série de vitrines remplies d'objets inattendus - vieux flacons d'eau de Cologne, dentier, cartes postales: l'écrivain turc et prix Nobel de littérature Orhan Pamuk présentait son Musée de l'innocence mardi à Londres, à la Somerset House.

L'idée est unique: écrire un roman d'amour basé sur des objets, avec en miroir la création d'un Musée renfermant ces objets. Cet exercice obsessionnel a donné lieu à la création en 2012 du Musée de l'Innocence à Istanbul, en réponse au roman éponyme paru en 2008.

«Nous sommes contents d'être dans une bonne galerie, les vitrines sont une réplique de celles d'Istanbul. J'ai choisi celles que j'aime le plus, que je trouve les plus jolies», explique à l'AFP Orhan Pamuk, 63 ans.

L'exposition, du 27 janvier au 3 avril, présente 13 vitrines sur les 83 du Musée d'Istanbul, correspondant aux 83 chapitres de l'histoire d'amour malheureux d'un Stambouliote des classes aisées, Kemal, pour sa cousine pauvre, Füsun.

«J'ai placé moi-même les objets un par un dans la vitrine», explique Orhan Pamuk. «Par exemple, la vitrine 74, celle sur la vie et la mort du père de Kemal, ce sont des objets que vous trouviez sur les tables de nuit à l'époque, le héros a mes antécédents culturels, et le roman a aussi un aspect autobiographique», souligne-t-il à l'AFP.

Dans un extrait du film projeté à l'exposition, Innocence of Memories, réalisé par Grant Gee, Orhan Pamuk explique: «J'ai conçu le Musée et le roman simultanément. Plus je collectionnais les objets, plus j'écrivais».

Le film, réalisé en étroite collaboration avec Pamuk et présenté au festival de Venise, sortait cette semaine à Londres.

Préserver la mémoire

«Les lignes qui lient les objets créent des histoires et les lignes qui lient les moments créent le temps», philosophe Pamuk dans ce film.

Mais il se défend d'être sur la même Recherche du Temps perdu que l'écrivain français Marcel Proust. «Mon Musée est un endroit délibéré pour préserver la mémoire, tandis que Proust a basé sa madeleine sur la mémoire involontaire» qui ressurgit en goûtant le petit gâteau, souligne-t-il, en ajoutant: «Kemal est un proustien complexé».

Le directeur de la Somerset House, Jonathan Reekie, est en discussion avec plusieurs pays pour faire voyager l'exposition, répartie sur trois salles: France, Belgique, États-Unis.

Orhan Pamuk vient de terminer un nouveau roman, La femme aux cheveux rouges, qui paraît le 2 février à Istanbul.

En marge de l'exposition, l'écrivain ne mâche pas ses mots, fidèle à son habitude, pour critiquer la situation politique dans son pays et le régime du président islamo-conservateur Tayyip Erdogan.

«La situation (des droits de l'Homme) est très mauvaise. Des professeurs d'université sont sous pression, emprisonnés, pour avoir signé une pétition» demandant l'arrêt des combats de l'armée contre les rebelles kurdes, dit-il à l'AFP.

«Cela n'a rien à voir avec la liberté d'expression. Nous avons une démocratie électorale mais pas une vraie démocratie», estime-t-il.

Cela affecte-t-il son travail? «On y pense tout le temps, c'est un problème pour tout le monde», conclut-il.